dimanche 8 mars 2015

Dans les coulisses de la démonstration de Brice Poreau, par Jacques Bienvenu



Le 9 avril 2014, L'Express publiait en ligne un article intitulé : «  Sur la photo, c'était bien Rimbaud !  ». Cet article a été a été repris successivement dans le courant du mois d'avril par notamment Francetv info, Le FigaroLe Nouvel Observateur, Libération, Le Point, l'Union, et  Sciences et Avenir. L'information paraissait sérieuse. Elle était présentée comme émanant d'un chercheur associé à un laboratoire de l'université Claude Bernard Lyon 1. Une université prestigieuse qui  compte parmi ses membres Cédric Villani, mathématicien renommé, directeur de l'institut Henri Poincaré. Rappelons à cette occasion que Poincaré, qui est l'un de nos plus illustres mathématiciens, a joué un rôle essentiel dans la réhabilitation du capitaine Dreyfus en dénonçant les prétendues preuves mathématiques de Bertillon utilisées pour identifier l'écriture du bordereau.

Depuis le 1er juin 2013, nous attendions la démonstration définitive  annoncée par Jean-Jacques Lefrère sur France inter. Elle est venue dix mois plus tard. Quand j'ai lu l'article de Brice Poreau mis en ligne sur le site de l'université Lyon 1, la démonstration présentait des erreurs mathématiques si  grossières que j'ai immédiatement alerté l'université Lyon 1. J'ai publié, sur mon blog, l'avis d'un spécialiste dans le domaine de la biométrie.  Nous avons pu observer par la suite que l'université Claude Bernard Lyon1 avait supprimé le site du laboratoire qu'elle hébergeait. Or, le responsable du laboratoire, le docteur Raoul Perrot, a créé récemment un site privé en ligne qui donne accès à des informations. L'article de Brice Poreau  était une publication interne des Cahiers Lyonnais d'Anthropologie biométrique. Ce n'était pas une publication scientifique dans une revue internationale avec un comité de lecture. Le laboratoire ne faisait pas partie des soixante neuf unités de recherches de l'université et même la question de l'existence  de ce laboratoire pouvait se poser. J'ai écrit au président de l'université de Lyon 1 pour l'informer que j'allais écrire un article sur la suppression du laboratoire et pour lui en demander les raisons précises. La réponse a été immédiate et elle n'est pas confidentielle. Je précise que dans mon message je signalais  que les liens entre le laboratoire et l'université me semblaient ténus. Voici ce qui justifie cette fermeture :

Le professeur Raoul Perrot, étant à la retraite depuis de nombreuses années, l'université n’avait pas la possibilité juridique de poursuivre l’hébergement de son laboratoire  ; les liens entre ce laboratoire et l’université étaient effectivement « ténus »  ; pour qu’une université puisse héberger un laboratoire de recherche, il faut que celui-ci soit évalué nationalement dans le cadre du contrat quadriennal (quinquennal aujourd’hui), ce qui n’était pas le cas.

En d'autres termes, ce laboratoire n'était pas homologué. L'absence d'évaluation est un signe rédhibitoire. L'université Claude Bernard en a tiré les conséquences supprimant le laboratoire, l'hébergement de son site ainsi que tous les cours programmés.

L'autre aspect de la question est le contenu même des calculs et la méthode de Brice Poreau. Cette méthode consiste d'abord à placer sur un visage des points d'intérêt (points biens connus en morphométrie, landmarks en anglais). On se contentera ici de la comparaison entre la photographie dite de référence B nommée Carjat 1 et la photographie  à expertiser A.




Brice Poreau relie vingt-cinq points entre eux et obtient trente-six segments numérotés de L1 à L36  dont il calcule les mesures avec un pied à coulisses .Voici un croquis qui le montre  :





L'auteur ne justifie pas le choix de ces mesures. Avec vingt cinq points  d'intérêt il avait trois cent choix de segments possibles. Aucun critère objectif de sélection n'est donné et on observe qu'une partie du visage est favorisée. Ceci ouvre la porte aux manipulations. Il suffit de sélectionner les distances qui font pencher la balance en faveur de l'hypothèse que l'on cherche à démontrer. 

Mais le pied à coulisse de Brice Poreau doit comporter quelques défauts. Voici Quatre mesures de distance suspectes  :




Dans son tableau Brice Poreau indique que la hauteur de l'oreille gauche L18 = 42,56 et celle de la droite L19 = 42,6. Soit une différence de 0,04 mm. Tout le monde peut voir sans pied à coulisse que cette mesure ne correspond pas à la photo à expertiser. De même, L13 et L14  sont incompatibles avec les points d'intérêt portés sur la figure. On est en droit de penser que Brice Poreau a arrangé les résultats.
Notons  que l'auteur affirme que la précision est du centième de millimètre ( page 10 de son article) et (page 11) que la précision est de  deux centième de millimètre pour le pied à coulisse. Les deux assertions sont contradictoires. On ne peut avoir une précision au centième de millimètres en utilisant un instrument de mesure ayant une précision de 0,02 mm.
Pourtant, ceci n'est rien. Pour obtenir ses pourcentages de similarité, Brice Poreau introduit des indices comme étant un rapport de longueur. Le rapport ne change pas si l'on respecte les proportions  ; il permet de comparer des portraits à des échelles différentes. L'intention est louable. Le problème, c'est la réalisation. En observant le tableau 3 on constate que certaines longueurs sont plus utilisées que d'autres. Par exemple L36, 5 fois au dénominateur, L30, 3 fois au numérateur tandis que L33 n'intervient nulle part. L'indice I24 = L35/L36 est l'inverse de I25 = L36/L35. On est dans le domaine de la fantaisie. Il y a plus sidérant encore  : des erreurs grossières de calculs. J'en signalerai une parmi d'autres . D'après la tableau 2 de notre chercheur  : L35 = 143,08 et L36 =134,12 et d'après la tableau 3 : I24= 99,24 alors que 143,08/134,12 = 106,68.




Mais le sommet  est atteint quand on observe la manière dont Brice Poreau calcule son pourcentage de similarité. Il fait d'abord la différence des indices et calcule ensuite la somme algébrique qu'il divise par le nombre d'indices. Le problème est que cette somme algébrique n'a aucun sens. Un schéma permet de le comprendre  :




Les indices peuvent se compenser. Dans la représentation donnée, les longueurs rouges et les longueurs bleues se retranchent. Ce qui fait qu'avec un indice de similarité nul on a un pourcentage de similarité de 100% pour des séries très dissemblables. Voici un exemple qui donne 100%  :





La longueur totale des segments rouges est égale à la longueur totale des segments bleus conduisant à un indice de similarité nul. On peut réaliser avec cette méthode des portraits de Rimbaud ayant un pourcentage de similarité de 100% avec celui de la photographie d'Aden, ce qui a été réalisé pour l'image reproduite en tête de l'article.




Le tableau ci-dessus montre comment le score de similarité donne arbitrairement un pourcentage de similitude.  Observons une singularité qu'il faut voir à la loupe. Dans la dernière colonne on saute de 12% à 10%. Donc pas de 11%. On comprend que l'auteur veuille finir son tableau par 0%. Il ne le dit pas. Le score varie de 1 à 10. Comme le score peut être négatif on comprend aussi que l'auteur prenne la valeur absolue sans le dire. Aucune justification n'est donnée pour l'intervalle de 1 à 10. C'est purement arbitraire  ; un autre intervalle donnerait des résultats très différents. 

On peut, c'est connu «  faire dire n'importe quoi aux chiffres  ». Surtout quand ils sont faux aurait ajouté Pierre Dac.

Il faut se  féliciter que l'université Claude Bernard Lyon 1 ait supprimé le laboratoire d'anthropologie  qui avait publié la prétendue démonstration de Brice Poreau. Par ailleurs, la presse qui en a rendu compte  ne pouvait pas soupçonner ce que je révèle aujourd'hui. Une mise au point serait la bienvenue.


Je me suis exprimé dans cet article en tant que mathématicien et je précise que le logiciel qui a permis de réaliser les images est le logiciel R version 3.0.2 ( 2013-09-25) utilisé en morphométrie.

Mise à jour du 9 mars. 
Le nouveau lien que  nous avons donné (ligne 18) concernant l'article de Brice Poreau fonctionne à présent. Par ailleurs, nous avons mis les liens concernant tous les journaux. Nous invitons le lecteur à vérifier que tous les liens vers l'article de Brice Poreau donnés dans la presse sont à présent supprimés. C'est la raison pour laquelle nous offrons au lecteur la possibilité de lire cet article.

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