jeudi 28 juin 2012

Don de la Fondation Catherine Gide au musée Rimbaud, par Jacques Bienvenu



Musée Rimbaud. Don de la Fondation Catherine Gide. DR.
          
       À la date du  10 novembre 1931, on peut lire dans le journal de Julien Green :
  
Chez Gide, je remarque sur une cheminée une très belle photographie de Rimbaud, « Le cliché en appartient à Mme Van Rysselberghe, me dit-il, il en existait une excellente reproduction qui se trouvait à La Nouvelle Revue française. Cocteau l’a vue. Cocteau est un des plus grands appropriateurs qui soient (cette phrase est dite avec une irritation soudaine qui fait briller les yeux noirs de mon interlocuteur) et il s’en est emparé, mais elle n’est jamais revenue. »

           Pour quelle raison Gide détenait-il cette photographie ? Tout simplement parce qu’ il connaissait très bien Maria Van Rysselberghe. Connue sous le nom de « la Petite Dame »[1], elle était l’épouse du peintre belge Théo Van Rysselberghe. De cette union était née une fille Élisabeth avec qui André Gide eut un enfant : Catherine, présidente actuelle de la Fondation Catherine Gide qu’elle a créée. J’eus l’idée de la contacter pour savoir ce qu’était devenue la fameuse photographie. Je parvins à joindre son mari, Peter Schnyder, qui me répondit que Catherine Gide se souvenait que sa mère était en possession de cette photographie  mais on ne savait pas où elle pouvait se trouver, c’était trop ancien. Néanmoins, Peter Schnyder me promit de faire des recherches. Deux mois après, un miracle se produisit. Je reçus de lui un message : la photographie était retrouvée ! En plus, il y en avait deux : l’une de Rimbaud en premier communiant, l’autre la fameuse photographie mythique de Rimbaud en agrandissement. Certes, les photographies sont connues, mais ce qui en fait la valeur, selon moi, c’est qu’elles portent toutes deux une attestation d’Isabelle Rimbaud. On en voit immédiatement l’importance. Cela prouve, en effet, que ces photographies viennent directement de l’atelier Berrichon. Elles datent nécessairement d’avant 1917, année de la mort d’Isabelle. L’attestation était alors justifiée, car ces photographies n’étaient pas connues à l’époque. Elles furent seulement révélées toutes les deux en 1922 par Berrichon aux Éditions de La Banderole (voir nos images). L’agrandissement de la photo de Rimbaud par Carjat présente un grand intérêt, car on n’en possède pas l’original. Il faut remercier chaleureusement Catherine Gide qui, par sa générosité, a accepté l’idée d’en faire don au musée Rimbaud. Il faut aussi remercier la Fondation Catherine Gide qui a bien voulu accepter que ce don soit fait lors de sa dernière assemblée générale, car ces photographies appartenaient à ladite fondation. Tous mes remerciements vont aussi à Peter Schnyder qui m’a accordé toute sa confiance pour faciliter cette transaction. Peter Schnyder est professeur de littérature française à l’Université de Mulhouse.

     Les deux photographies se trouvent donc depuis peu au musée Rimbaud, sous la responsabilité d’Alain Tourneux. La photographie de Rimbaud en premier communiant montre un détail intéressant. On y voit nettement la retouche qui a permis d’effacer le frère de Rimbaud. On sait en effet que ce portrait est extrait d’une photographie qui représentait initialement les deux frères Arthur et Frédéric Rimbaud. Elle fut révélée en 1930 dans le livre de Marguerite-Yerta Méléra. La BN possède aujourd’hui un exemplaire de cette photographie.

       La seconde photographie, la plus connue, est un agrandissement du Rimbaud par Carjat. On n’y observe pas de retouches visibles. On n’a pas retrouvé à ce jour l’original de la photographie Carjat. Le Musée Rimbaud possède un beau portrait couleur sépia qui date du début du siècle et qui aurait appartenu à Jean Cocteau. On a vu plus haut que Julien Green parle de l'emprunt de Cocteau. Dans ses souvenirs Maria Van Rysselberghe parle du portrait de Rimbaud qu'elle avait donné à la NRF et que Cocteau avait emprunté.  Si le portrait du Musée Rimbaud appartenait à Cocteau, on pourrait penser qu'il est est fait sur le modèle de celui de la Fondation Gide. En fait, il ne semble pas, et selon Alain Tourneux, la photographie du Musée Rimbaud pourrait même être antérieure à celle récemment offerte. En effet, le conservateur du musée, à qui rien n’échappe, a observé que l’agrandissement de la photographie de Rimbaud était réalisé sur un support photographique qui semblait novateur pour l’époque. Vers les années 1912[2], en effet, des progrès avaient été faits mais un tel type de support n’était pas encore très courant. On sait que Berrichon ne lésinait pas pour les photographies de Rimbaud. Ainsi, avait-il eu recours aux services du professeur Lippmann dès 1896. Gabriel  Lippmann était l’inventeur d’un procédé de photographie en couleur dont la qualité demeure indépassable encore aujourd’hui, mais impossible à utiliser à l’échelle industrielle, car trop onéreux. Il eut le prix Nobel de physique en 1908 pour cette invention.Pour l'instant une énigme demeure concernant ces deux portraits que possède le Musée. Quoi qu'il en soit on mesure l'intérêt pour le Musée Rimbaud de posséder ces deux pièces de collection.

      En 1936, une exposition eut lieu à la Bibliothèque Nationale de France à Paris pour le cinquantenaire du symbolisme. La photographie redécouverte y était exposée sous la dénomination : « Rimbaud à 16 ans - À Mme Théo Van Rysselberghe». Deux autres y figuraient aussi : les fameuses photographies de Rimbaud que la veuve de Paterne Berrichon avait prêtées pour l’exposition. Peut-être l’original de la photographie mythique y était-il exposé. Malheureusement, cette exposition semble avoir échappé aux commentaires de la plupart des rimbaldiens de l’époque.

           Un dernier mot qui explique le don d’Isabelle Rimbaud à « la Petite Dame ». Théo Van Rysselberghe et sa femme Maria étaient très liés avec le poète Verhaeren. Le poète belge avait connu la première publication des Illuminations de Rimbaud en 1886. C’est lui qui avait sensibilisé les Rysselberghe au poète français. On observe, en outre, que le peintre belge avait participé avec son ami Verhaeren à une souscription pour le comité qui s’occupait d’ériger une statue de Rimbaud à Charleville  en 1901.

 
 Retouche visible sur la photographie de Rimbaud en premier communiant et attestation d'Isabelle au verso.  Don de la Fondation Catherine Gide. Musée Rimbaud. DR.
Première publication aux Éditions de La Banderole (1922). DR.
                          


                      Première publication par Marguerite-Yerta Méléra, 1930. Coll. J Bienvenu. DR


      Concernant l’agrandissement de la photographie de Rimbaud par Carjat, nous réservons la reproduction. Il appartiendra à Alain Tourneux d’exposer les photographies au musée Rimbaud au moment où il le jugera opportun. Je publie ici la photographie révélée par Berrichon en 1922. La nouvelle photographie, don de la Fondation Catherine Gide, est conforme à celle-ci.

                               Première publication par Berrichon. 1922. DR.




[1] Voir à ce sujet : Les Cahiers de la Petite Dame : notes pour l'histoire authentique d'André Gide. 1, 1918-1929, Paris, Gallimard, « Cahiers André Gide », 1973. p.79 où Maria Van Rysselberghe parle de la photographie que Cocteau avait empruntée à La NRF (1er au 10 juin 1921).

[2] C’est à cette date que la photographie mythique apparaît dans le journal de Paul Claudel. Et c’est aussi en 1912 que Berrichon réservait ces photographies  pour une édition de luxe des œuvres de Rimbaud qui ne fut éditée que dix ans plus tard en 1922. Il était temps car Berrichon devait mourir la même année.

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