dimanche 19 mars 2017

Du nouveau sur Rimbaud ? par Michel Murat

Trois au moins des organisateurs du colloque « Les saisons de Rimbaud » peuvent se reconnaître dans cette expression de l’Album Zutique : « les vieux de la vieille ». Au moment d’ouvrir une saison nouvelle, il faut bien que l’un d’eux se penche sur la période d’une trentaine d’années qui vient de s’écouler. Qu’y a-t-il eu de nouveau sur Rimbaud, et que peut-on encore attendre de nouveau, « idées et formes » ?

1. Edition
L’édition de la Pléiade par André Guyaux, annoncée depuis longtemps, a paru en 2009. Elle a donné lieu au moment de sa parution à une polémique qui, avec le recul du temps, semble assez vaine. Il est clair maintenant qu’elle marque un point d’équilibre, et qu’elle s’est imposée comme édition de référence : retour à la tradition éditoriale, sûreté de l’information, modestie du commentaire. Elle a en outre l’avantage – grâce aux contraintes imposées par l’éditeur ? – d’offrir un volume maniable.
Cette édition s’est imposée d’autant plus nettement que la publication des Œuvres complètes par Steve Murphy chez Champion s’est arrêtée au milieu du gué, après la parution du remarquable volume des Poésies en édition pluriversionnelle, complétée par un volume de fac-similés. Il manque encore les pièces maîtresses que sont la Saison et les Illuminations : on ne peut que former des vœux pour que l’entreprise soit menée à bien.

2. Erudition
L’érudition rimbaldienne a de beaux jours derrière elle, et on est en droit de penser qu’elle a aussi de beaux jours devant elle. Ses domaines privilégiés sont connus. Il s’agit en particulier de la formation scolaire de Rimbaud, encore trop peu explorée ; des témoins et des « amis », sur lesquels nous savons souvent peu de chose (ainsi Izambard, Demeny, Forain) ; des poètes « modernes », petits parnassiens et autres, dont l’œuvre reste à lire ; des exilés de la Commune que Rimbaud et Verlaine ont fréquentés à Londres. Les travaux récents de Jacques Bienvenu sur Maurice Bouchor, de David Ducoffre sur Amédée Pommier, montrent que le champ est loin d’être épuisé.
Cependant la plupart de ces trouvailles concernent Rimbaud dans son rôle de « diable au milieu des docteurs », à la fois en pleine littérature et quelque peu en marge de celle-ci. C’est pourquoi la découverte majeure de cette période reste la version de « Mémoire » intitulée « Famille maudite » et placée sous le signe d’Edgar Poe – une référence rarement avancée et dont l’importance n’échappe à personne. Elle montre, sans qu’on puisse présumer de l’avenir, que les collections privées n’ont sans doute pas encore livré tous leurs secrets.

3. Le débat critique
Pendant une longue période le débat a été dominé par la querelle entre partisans de ce qu’on peut appeler une approche internaliste, esthétique et textuelle, et ceux d’une approche externaliste, idéologique et politique. Les deux, strictement entendues, ont montré leurs limites ; on a constaté en particulier, ce qui était prévisible, que la pertinence de l’approche idéologique s’affaiblissait après 1872, et qu’elle était impuissante à fournir pour les Illuminations la clé d’une lecture systématique. De part et d’autre, il semble que les arguments les plus recevables aient été entendus ; on le constate dans l’édition de la Pléiade par André Guyaux, ou dans les travaux récents de Yoshikazu Nakaji sur Une saison en enfer.
Il est d’autre part remarquable que les œuvres de Rimbaud et de Verlaine, longtemps considérées isolément, soient maintenant comprises ensemble, et que les rapports entre les œuvres de 1872, les copies réciproques, ainsi que les poèmes plus tardifs de Verlaine soient en quelque sorte incorporés au corpus rimbaldien. Les travaux d’Olivier Bivort y ont grandement contribué, et la parution toute récente d’un volume de la collection Quarto réunissant les deux auteurs en un « concert d’enfers » apporte à cette idée une consécration publique.
En revanche le livre d’Eddy Breuil, Du Nouveau chez Rimbaud (Champion, 2014), n’a donné lieu à aucun débat, alors que les médias ont accueilli avec gourmandise cette thèse révisionniste, qui attribue à Germain Nouveau des Illuminations dont Rimbaud n’aurait été que le copiste. Un sociologue mal intentionné dirait sans doute que les rimbaldiens n’ont pas voulu ruiner leur fond de commerce. Mais en réalité le livre, qui repose sur une pratique systématique du soupçon, fait bon marché non seulement du silence de Nouveau, mais de la parole de Verlaine – en dépit de ses imprécisions ; et surtout les rimbaldiens, en tant que lecteurs, sont convaincus à la fois de la solidarité profonde entre les membres du poète, si disjoints soient-ils, et de l’incapacité de l’auteur des Valentines à écrire des textes comme « Barbare » ou « Génie ». Ils ont considéré, sans preuve mais avec raison, que jamais Breton ou Gracq, qui connaissaient et aimaient les deux poètes, n’auraient donné dans ce panneau ; et ils n’ont pas jugé qu’une réfutation fût nécessaire.

4. Les saisons
Selon les moments, l’intérêt des chercheurs s’est porté tantôt sur l’une, tantôt sur l’autre des pièces majeures de l’œuvre. Les Poésies et Une saison en enfer ont bénéficié du programme d’agrégation (2010). Cette circonstance a été surtout favorable pour la Saison, car l’intérêt pour les Poésies avait été nourri par les apports de l’érudition, et par les discussions sur l’engagement communard. Yoshikazu Nakaji a eu l’occasion de revenir sur son livre de 1987 et d’y apporter des compléments importants : ses travaux font toujours référence ; ceux de Yann Frémy, malgré leur intérêt, n’ont pas apporté de renouvellement décisif.
En revanche les Illuminations sont un peu délaissées, après avoir été longtemps au centre de l’attention avec les livres d’André Guyaux, puis de Sergio Sacchi, et les analyses que je leur consacre dans L’Art de Rimbaud. André Guyaux y voit – ceci dit grossièrement – une suite de fragments, alors que mon point de vue est qu’il s’agit d’un recueil (inabouti) de poèmes en prose ; cette divergence a sans doute été constatée, mais elle n’a donné lieu à aucun débat. Quoi qu’il en soit l’approche générique semble atteindre ses limites, de même que l’autotextualité sur laquelle Steve Murphy avait attiré l’attention ; mais nous sommes encore loin de comprendre cette œuvre extraordinaire.

5. Dictionnaires
La mise en chantier de dictionnaires Rimbaud signifie-t-elle que la recherche n’a plus grand chose à apporter, et que l’heure de la synthèse est venue ? On peut sans doute regretter qu’il y ait deux dictionnaires concurrents, celui de Bouquins, dirigé par Jean-Baptiste Baronian, et celui qu’Alain Vaillant prépare pour Garnier. Il y aura des doublons ; mais on pourra aussi corriger l’un par l’autre. Les dictionnaires, grâce à leur caractère systématique, permettent de combler des lacunes ; ils donnent aussi l’occasion aux meilleurs spécialistes (Guyaux, Bivort, Nakaji pour Bouquins) de faire sérieusement l’état d’une question. C’est plus qu’utile, et il est bon  – me suis-je toujours dit – que d’autres s’en chargent.


6. Un mot suffit pour conclure : « Départ dans l’affection et le bruit neufs ! »

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