mercredi 17 août 2016

Rimbaud et l'énigme Louisa Siefert


La lettre de Rimbaud à Izambard du 25 août 1870, dont nous avons parlé récemment, comporte une petite énigme. Rimbaud y avait écrit : 

 « - Vous aviez l’air de vouloir connaître Louisa Siefert, quand je vous ai prêté ses derniers vers ; je viens de me procurer des parties de son premier volume de poésies, Les rayons perdus 4e édition, j’ai là une pièce très émue et fort belle, Marguerite ».

En 1870, la 4e édition n’existait pas encore. Dans sa notice du Dictionnaire Rimbaud sur Louisa Siefert,  Aurélia Cervoni précise que la 4e édition n’est sortie de presse qu’en janvier 1873. Pourquoi Rimbaud fait-il référence à la 4e édition  et comment a-t-il pu se procurer seulement des « parties » des Rayons perdus ?


Photographie Vincent Malausa. DR.


À La suite  de notre précédent article, nous avons reçu une très intéressante information de Vincent Malausa qui nous a communiqué une photographie d’une page de la première édition datée de 1870 des Stoïques de Louisa Siefert. Sur cette page, qui indique les ouvrages du même auteur, on peut lire : « Les Rayons perdus, poésies. 4e édition ».Vincent Malausa nous informait en outre qu’une troisième édition des Rayons perdus indiquait comme achevé d’imprimer : avril 1869. 

On pouvait alors se demander si entre avril 1869 et août 1870 une quatrième édition n’avait pas vu le jour avant 1873, d’autant plus qu’entre la seconde édition et la troisième il s’était écoulé seulement trois mois ! 

Photographie Vincent Malausa. DR.

Pourtant, la quatrième édition date bien de 1873 comme le confirme le livre  : « Louisa Siefert, Souvenirs rassemblés par sa mère » où nous avons trouvé l’information recherchée :  

« M. Viollet-le-Duc, qui écrivait quelques fois au Journal des débats, se fit un plaisir d’y annoncer la quatrième édition des Rayons perdus qui venaient de paraître (…) ». (p.185)

Cet article étant daté de mars 1873 la question de la date de la quatrième édition est définitivement résolue. 

Rimbaud avait précisé  à Izambard qu’il lui avait communiqué les derniers vers de Louisa Siefert. Il s’agit donc certainement des Stoïques paru en  mai 1870. On sait de plus, que Rimbaud a évoqué les plaintes d’Antigone comme l’avait fait Asselineau dans la préface de la seconde édition. C’est donc  bien de cette édition ou de la troisième dont Rimbaud parle à Izambard. Pourtant, s’il avait eu le livre en main il n’aurait pas manqué de voir de quelle édition il s'agissait. Il faut donc admettre qu’il n’avait pas le livre des Rayons perdus mais bien seulement, comme il le dit, des « parties » de cet ouvrage.

Parmi les  comptes rendus des Rayons perdus, aucun ne reproduisait en entier le poème Marguerite, pas même l’important et élogieux article de Louis Etienne dans la Revue des deux mondes. Rimbaud n’a donc pas pu y trouver ses longs extraits de Marguerite. On ne peut  pas non plus  soutenir comme Steve Murphy que Rimbaud a donné ses extraits en lisant les  pages non coupées d’un livre dans une librairie :  Les extraits sont situés sur toutes les pages 26 à 29 du livre aussi bien pour la seconde édition que pour la troisième qui reproduit à l’identique la précédente. 

Envisageons une autre hypothèse. En mai 1870,  Rimbaud avait écrit à Théodore de Banville sans en parler à Izambard. Ceci est attesté par le professeur de Rimbaud. En juin 1871, Rimbaud écrivait aussi au poète Jean Aicard en lui demandant l’envoi de son dernier livre. On peut donc émettre l’hypothèse  que Rimbaud a écrit à Louisa Siefert comme en témoigne le chanteur Renaud qui est parent avec la poétesse et qui a fait plusieurs fois état de cette correspondance aujourd’hui disparue. Certainement, Rimbaud espérait recevoir Les Rayons perdus s’il a écrit à son auteur. 
Le livre de souvenirs de la mère de Louisa Siefert nous apporte d’autres indications précieuses. On y  apprend notamment que parmi les courriers reçus  par  Louisa, il y avait  une lettre d’un maitre d’études désargenté à qui elle avait envoyé par la suite un exemplaire de son livre. Aurait-elle fait pareil avec Rimbaud ? Nous ne le croyons pas. Les exemplaires d’auteur devaient être rares et elle ne pouvait pas en envoyer à tout le monde. Aurait-t-elle recopié pour Rimbaud des « parties » de son livre ? C’est peu probable. Mais on trouve dans le livre de souvenirs une autre information : l’éditeur envoyait  avant la publication de ses livres un jeu d'épreuves pour vérification. Ainsi, avant de recevoir le livre définitif des Stoïques en mai 1870,  La mère de Louisa écrivait : « Louisa en avait d’abord reçu les bonnes feuilles, et elle avait été satisfaite de l’impression et de l’ensemble auquel il ne manquait plus que le brochage » (p.112-113). À  défaut du livre, on peut donc penser que Louisa Siefert a envoyé à Rimbaud une partie des bonnes feuilles des Rayons perdus. Ces extraits devaient sans doute comporter la préface d’Asselineau, si importante pour elle, et quelques poèmes dont Marguerite

On comprend alors que Rimbaud, n’ayant pas eu le livre entre les mains,  mais seulement les « parties » envoyées par Louisa Siefert, ait mentionné l’indication erronée d'une quatrième édition qui figurait dans le livre des Stoïques qu’il avait prêté à Izambard.


Je remercie vivement Vincent Malausa pour sa collaboration et ses pertinentes informations.


Jacques Bienvenu

samedi 6 août 2016

La lettre de Rimbaud à Izambard du 20 août 1870, réflexions autour d'un article de Steve Murphy


Un volume d’hommages consacré à Michael Pakenham Le Chemin des correspondances et le champ poétique a été publié aux éditions Classiques Garnier. Celui-ci comporte une cinquantaine d’articles. Nous ne pouvons pas donner dans l’immédiat un compte rendu de cet important volume que nous sommes en train d’étudier. Néanmoins, nous  apportons ici quelques réflexions qui ont été suscitées par un article de Steve Murphy intitulé Le coeur d’épître. Rimbaud, Louisa Siefert et Nina consacré à la lettre du 25 août 1870 de Rimbaud à Izambard. Steve Murphy a aussi écrit le premier article du volume publié sous sa direction : Michael Pakenham, trouveur ( 1929-2013).

Voici le texte de la lettre de Rimbaud à Izambard du 25 août 1870 :


                                                                     Charleville, 25 août 1870.
   Monsieur,

   Vous êtes heureux, vous, de ne plus habiter Charleville ! — Ma ville natale est supérieurement idiote entre les petites villes de province. Sur cela, voyez-vous, je n'ai plus d'illusions. Parce qu'elle est à côté de Mézières, — une ville qu'on ne trouve pas, — parce qu'elle voit pérégriner dans ses rues deux ou trois cents de pioupious, cette benoîte population gesticule, prud'hommesquement spadassine, bien autrement que les assiégés de Metz et de Strasbourg ! C'est effrayant, les épiciers retraités qui revêtent l'uniforme ! C'est épatant comme ça a du chien, les notaires, les vitriers, les percepteurs, les menuisiers et tous les ventres, qui, chassepot au cœur, font du patrouillotisme aux portes de Mézières ; ma patrie se lève !... moi j'aime mieux la voir assise : ne remuez pas les bottes ! c'est mon principe.
   Je suis dépaysé, malade, furieux, bête, renversé ; j'espérais des bains de soleil, des promenades infinies, du repos, des voyages, des aventures, des bohémienneries enfin : j'espérais surtout des journaux, des livres... — Rien ! Rien ! Le courrier n'envoie plus rien aux libraires ; Paris se moque de nous joliment : pas un seul livre nouveau ! c'est la mort ! Me voilà réduit, en fait de journaux, à l'honorable Courrier des Ardennes, propriétaire, gérant, directeur, rédacteur en chef et rédacteur unique : A. Pouillard ! Ce journal résume les aspirations, les vœux et les opinions de la population, ainsi jugez ! c'est du propre !... On est exilé dans sa patrie !!!!
   Heureusement, j'ai votre chambre : — Vous vous rappelez la permission que vous m'avez donnée. — J'ai emporté la moitié de vos livres ! J'ai pris Le Diable à Paris. Dites-moi un peu s'il y a jamais eu quelque chose de plus idiot que les dessins de Grandville ? — J'ai Costal l'Indien, j'ai La Robe de Nessus, deux romans intéressants. Puis, que vous dire ?... J'ai lu tous vos livres, tous ; il y a trois jours, je suis descendu aux Épreuves, puis aux Glaneuses, — oui ! j'ai relu ce volume ! — puis ce fut tout !... Plus rien ; votre bibliothèque, ma dernière planche de salut, était épuisée !... Le Don Quichotte m'apparut ; hier, j'ai passé, deux heures durant, la revue des bois de Doré : maintenant, je n'ai plus rien ! —Je vous envoie des vers ; lisez cela un matin, au soleil, comme je les ai faits : vous n'êtes plus professeur, maintenant, j'espère !...
   —Vous aviez l'air de vouloir connaître Louisa Siefert, quand je vous ai prêté ses derniers vers ; je viens de me procurer des parties de son premier volume de poésies, les Rayons perdus, 4
e édition. J'ai là une pièce très émue et bort belle, « Marguerite »
..................................................................
Moi, j'étais à l'écart, tenant sur mes genoux
Ma petite cousine aux grands yeux bleus si doux :
C'est une ravissante enfant que Marguerite
Avec ses cheveux blonds, sa bouche si petite
Et son teint transparent...
....................................................................
Marguerite est trop jeune. Oh ! si c'était ma fille,
Si j'avais une enfant, tête blonde et gentille,
Fragile créature en qui je revivrais,
Rose et candide avec de grands yeux indiscrets !
Des larmes sourdent presque au bord de ma paupière
Quand je pense à l'enfant qui me rendrait si fière,
Et que je n'aurai pas, que je n'aurai jamais ;
Car l'avenir, cruel en celui que j'aimais,
De cette enfant aussi veut que je désespère...
..................................................................
Jamais on ne dira de moi : c'est une mère !
Et jamais un enfant ne me dira : Maman !
C'en est fini pour moi du céleste roman
Que toute jeune fille à mon âge imagine...
..................................................................
— Ma vie, à dix-huit ans, compte tout un passé. 

— C'est aussi beau que les plaintes d’Antigone ανυμφη, dans Sophocle. —J'ai les Fêtes galantes de Paul Verlaine, un joli in-12 écu. C'est fort bizarre, très drôle ; mais vraiment, c'est adorable. Parfois de fortes licences ; ainsi :
Et la tigresse épou / vantable d'Hyrcanie
est un vers de ce volume — Achetez, je vous le conseille, La Bonne Chanson, un petit volume de vers du même poète : ça vient de paraître chez Lemerre ; je ne l'ai pas lu ; rien n'arrive ici ; mais plusieurs journaux en disent beaucoup de bien ; — Au revoir, envoyez-moi une lettre de 25 pages — poste restante, — et bien vite !

A. RIMBAUD.

P.-S. — À bientôt, des révélations sur la vie que je vais mener après….. les vacances……………


Cette lettre contient des extraits d’un poème de Louisa Siefert, Marguerite, que nous donnons en faisant apparaître en jaune les vers cités par Rimbaud :

C’était un soir de juin paisible. Du midi
Le vent soufflait chargé d’un parfum attiédi,
Et les deux vieilles tours massives & carrées,
D’un rayon de soleil couchant étaient dorées.
Le ciel d’un bleu d’opale avait des tons charmants ;
Les arbres & les fleurs tressaillaient par moments ;
Partout les foins coupés dormaient sur les prairies.
On eût dit la nature en proie aux rêveries ;
Nous étions réunis tous au bout du jardin ;
Personne ne troublait le silence serein
Qui, du ciel calme & pur, tombait sur toutes choses
Et venait rafraîchir les hommes & les roses.
Moi, j’étais à l’écart, tenant sur mes genoux
Ma petite cousine aux grands yeux si doux :
C’est une ravissante enfant que Marguerite
Avec ses cheveux blonds, sa bouche si petite
Et son teint transparent. — Amour ou chérubin,
Dont rien n’altère encor le sourire divin !
Elle avait tant joué qu’elle était un peu lasse,
Et, comme on voit la fleur sous la brise qui passe
S’incliner, la mignonne avait fermé les yeux,
En appuyant sur moi son front pur & joyeux.
Enlacée à mes bras, elle était immobile ;
La lumière baignait son visage tranquille ;
Elle ne dormait pas, elle semblait rêver.
Et je la regardais se perdre & s’élever
Dans ce cher pays bleu, splendide & solitaire,
Où, depuis si longtemps, je vis loin de la terre.
Tout à coup quelqu’un dit en nous montrant ainsi :
« ― Vraiment, c’est un tableau tout à fait réussi.
« Et comme la petite à la grande ressemble ! »
« Nul n’y pensait avant qu’elles fussent ensemble.
« On dirait, n’est-ce pas ? à les regarder bien,
« Les deux sœurs, ou la mère & l’enfant. » L’entretien
Alors se renoua, sérieux ou frivole.
Autour de moi, chacun, ayant pris la parole,
Sur ce premier avis voulut donner le sien.
Mais, je n’écoutais plus, je n’entendais plus rien,
Non, plus rien que l’haleine égale & reposée
Qui sortait doucement de la lèvre rosée.
Mon cœur seul parlait haut sans craindre de témoin ;
Un mot avait suffi pour l’emporter bien loin,
Et je berçais toujours ma petite cousine
Tandis qu’un long soupir soulevait ma poitrine :
— Les deux sœurs, me disais-je, oh ! non, dans sa douceur
Je la connais bien, moi, l’amitié d’une sœur ;
Je sais ce qu’elle vaut & combien elle est sûre.
Sa tendresse est habile à panser la blessure
Profonde que l’amour nous fait ; son dévoûment
Est, jusqu’en ses détails, sympathique & charmant ;
Sa force est patiente & son ardeur fidèle.
Ma sœur, puissent mes jours s’écouler auprès d’elle !
Puisse Dieu lui donner ce qu’il m’ôte ici-bas !
Ma sœur est mon amie & ne changera pas.
Marguerite est trop jeune. Oh ! si c’était ma fille,
Si j’avais une enfant, tête blonde & gentille,
Fragile créature en qui je revivrais,
Rose & candide avec de grands yeux indiscrets,
Sans cesse demandant des chansons, des caresses
Et de tendres baisers, quelles folles ivresses
Me causeraient sa voix, son parler hésitant
Ou le timbre joyeux de son rire éclatant !
Pour elle, être à mon tour ce qu’est pour moi ma mère,
Et, comme par un souffle, en cette vie amère,
Sentir les maux guéris & les pleurs essuyés
Par le bruit de l’enfant qui jouerait à mes pieds ;
Être le but, la vie & l’âme de cette âme,
L’instruire de ma foi, l’échauffer de ma flamme
Et ne rien demander que sa joie en retour,
Quel rêve, encor plus doux que celui de l’amour !
Des larmes sourdent presque au bord de ma paupière
Quand je pense à l’enfant qui me rendrait si fière,
Et que je n’aurai pas, que je n’aurai jamais ;
Car l’avenir, cruel en celui que j’aimais,
De cette enfant aussi veut que je désespère.
Pourtant elle eût porté le nom de mon grand-père,
Je l’aurais appelée Olympe comme lui.
Doux & brillant reflet du rayon qui m’a lui
Dans les jours d’autrefois, les jours de mon enfance,
Ce nom, porté par elle, à sa fraîche innocence
Se serait rajeuni de nouveau pour longtemps ;
Écho de la vieillesse & chanson du printemps,
Fleur nouvelle naissant de la plante brisée,
Matin tout emperlé des pleurs de la rosée,
Prestige du passé, rêve de l’avenir,
Vie & mort, jour & nuit, espoir & souvenir !
Mais pourquoi tant choyer cette folle chimère ?
Jamais on ne dira de moi : C’est une mère !
Et jamais un enfant ne me dira : Maman !
C’en est fini pour moi du céleste roman
Que toute jeune fille à mon âge imagine.
Du bouquet effeuillé je n’ai plus que l’épine,
La brise s’est changée en ouragan glacé :
Ma vie à dix-huit ans comprend tout un passé.



Rimbaud n’a pas donné correctement le second extrait. Il a mis un point d’exclamation à la place d’une virgule après indiscrets et aurait dû placer  comme suit la série de points :


Marguerite est trop jeune. Oh ! si c'était ma fille,
Si j'avais une enfant, tête blonde et gentille,
Fragile créature en qui je revivrais,
Rose et candide avec de grands yeux indiscrets,
…………………………………………………………
Des larmes sourdent presque au bord de ma paupière
Quand je pense à l'enfant qui me rendrait si fière,
Et que je n'aurai pas, que je n'aurai jamais ;
Car l'avenir, cruel en celui que j'aimais,
De cette enfant aussi veut que je désespère…

Steve Murphy, dans son article, pose cette question :

L’expression « je viens de me procurer des parties de son premier volume se réfère-t-elle à la lecture de quelques poèmes de la quatrième édition des Rayons perdus dans une revue ou dans une recension ? Rimbaud a-t-il clandestinement recopié des extraits dans une librairie en renonçant aux pages non coupées ?


Rimbaud n’a pas pu lire la quatrième édition des Rayons perdus de Louisa Siefert qui ne paraîtra qu’en 1873. Il a lu les poésies dans la seconde édition de 1869. C’est là, dans la préface d’Asselineau que Rimbaud a trouvé le rapprochement avec les plaintes d’Antigone. Il n’a pas recopié des extraits dans un livre en renonçant aux pages non coupés : les extraits sont situés sur toutes les pages 26 à 29 de cette édition. Concernant des articles susceptibles de reproduire des extraits, nous avons retrouvé celui de L’Artiste qui est signalé dans la préface d’Asselineau. L’extrait cité est différent de ceux donnés par Rimbaud. Observons que la critique est élogieuse avant même le succès de la première édition. On reconnaît à Louisa Siefert parfois une écriture virile soulignée aussi par Asselineau. Voici l’article de L’Artiste



Steve Murphy pose au début de son article la question des vers que la lettre aurait pu contenir : « Nous voudrions nous pencher sur une lettre dont on a toujours su qu’elle avait contenu des vers, mais sans savoir lesquels »

Il précise que la lettre de Rimbaud faisait suite au départ d’Izambard « qu’il n’a pas revu depuis quelques semaines. Il ne le retrouvera pas (…) » Or, en septembre à Douai, Rimbaud a revu Izambard qui l’a ramené à Charleville à la fin de ce mois. Rimbaud a donc très bien pu donner des poèmes à Izambard après l’envoi de la lettre du 25 août.
Néanmoins, il est possible que Rimbaud ait pu joindre à la lettre le poème Ce qui retient Nina daté du 15 août. Selon Murphy, les pliures sur le fac-similé reproduit  dans le catalogue de la vente Guérin de 1998 montrent qu’elles coïncident avec ceux de la lettre. Cela ne nous semble pas exact. Le commentaire de Claude Jeancolas dans son édition des manuscrits de Rimbaud est plus précis : « Deux feuillets 208x134mm, papier vergé de 75g, écrits recto verso à l’encre bistre. traces de pliures en deux horizontalement puis repliage des bords extérieurs vers le centre à 3 et 4 cm des bords, ce qui indique un envoi par la poste ». Pour Claude Jeancolas le poème a été envoyé à Georges Izambard en août 1870. Il ne précise pas que l’envoi coïncide avec la lettre du 25 août. 


Dans son article, Steve Murphy soulève un problème philologique et se demande si l’édition habituelle de lettre est juste :

« Il y a en effet une difficulté généralement passée sous silence : les mots « — Vous aviez »  ne sont pas de Rimbaud. Henri Guillemin commentant le manuscrit qu’il a pu examiner à l’époque où il faisait partie de la collection Godoy, certifie que la lettre présente toujours à cet endroit une coupure, attestée par Berrichon comme par Izambard. Or son témoignage publié en 1953, a ceci de curieux que la séquence « —Vous aviez » figure bel et bien sur le fac-similé du manuscrit publié l’année suivante par Suzanne Briet. Il s’agit d’une reconstitution allographe, s’écartant légèrement de la proposition de Guillemin ( «  Vous avez »), y compris par l’ajout de ce tiret. »

Berrichon qui avait édité pour la première fois la lettre en 1912 avait en effet signalé une partie déchirée et avait transcrit : « …[ partie déchirée] …vouloir connaître Louisa Siefert ». De même Henri Guillemin qui avait pu consulter le manuscrit d’Armand Godoy signalait aussi une coupure due à une déchirure dans l’angle supérieur gauche du second feuillet.

Reproduction du catalogue de l'exposition du centenaire de 1954

Mais la leçon du manuscrit est là : il n’y a pas de déchirure comme le montre bien l’excellente reproduction en fac-similé de la lettre reproduite dans l’édition de la correspondance de Rimbaud par Jean-Jacques Lefrère et on y lit bien la séquence : « — Vous aviez l’air ».


Henri Guillemin après 1953 est devenu propriétaire du manuscrit comme le montre le catalogue du centenaire de 1954 :


Peut-on imaginer qu’un homme comme Henri Guillemin, qui avait le respect du document, ait pris l’initiative de caviarder un autographe de Rimbaud ? Et peut-on affirmer que les mots «  — Vous aviez  » ne sont pas de Rimbaud ? Je ne le pense pas.

JB

Voir à ce sujet notre article sur Renaud et Louisa Siefert.