dimanche 13 novembre 2016

Musée Rimbaud : Actualités (mis à jour le 4 janvier).


La photographie Carjat de Rimbaud, que j’avais retrouvée, vient d’être exposée à nouveau au Musée Rimbaud après avoir été montrée une première fois au moment de l'inauguration de 2015. Elle comporte au dos une attestation d’Isabelle Rimbaud qui fait de ce document une pièce unique. J’ai expliqué lors de la conférence que j’ai donnée l’an dernier à la médiathèque Voyelles que cette photographie est la meilleure reproduction connue de ce cliché de Carjat. Elle est  conforme à la photographie de l’original qui se trouve depuis peu à la bibliothèque nationale, information dont j’avais réservé la primeur lors de ma conférence.


Photo Carole Galtier. Musée Rimbaud, le 12/11/2016.DR.

Le Musée Rimbaud a pu acquérir, le 7 novembre, 19 lots de la vente de la belle  bibliothèque du regretté Claude Jeancolas. Il s’agit d’ouvrages qui viennent compléter la très riche collection du fonds Rimbaud que possède le Musée.



La collecte organisée pour l’achat du revolver de Verlaine par le Musée Rimbaud, lors de la vente aux enchères du 30 novembre, se poursuit et peut être suivie sur le site de la fondation du patrimoine.

Il serait important que l’information qui concerne le registre, jusqu’alors introuvable, sur lequel serait mentionné l’achat par Verlaine de cette arme soit confirmée. Le site les Inrocks avait publié que : “Le pistolet porte bien sur la crosse le numéro 14096 qui correspond à celui inscrit sur le registre de l’armurerie, en face duquel figure le nom de Verlaine lorsqu’il l’a achetée.”  On aimerait qu’une photographie de ce registre qui garantit l’authenticité du revolver soit publiée. On peut consulter sur ce sujet notre précédent article.


Mise à jour du 15 novembre

Suite à un contact téléphonique réalisé le 15 novembre avec Madame de Conihout, Directrice du Département des Livres et Manuscrits à CHRISTIE’S Paris, nous sommes en mesure d’apporter enfin une information précise concernant le registre de l’armurerie. Le site les inrocks avait écrit :

Pour Isabelle de Conihout, l’origine de l’arme ne laisse place à aucun doute : “Le pistolet porte bien sur la crosse le numéro 14096 qui correspond à celui inscrit sur le registre de l’armurerie, en face duquel figure le nom de Verlaine lorsqu’il l’a achetée.” 

Il fallait préciser que cette affirmation provient de la famille de l’armurier et du vendeur qui avaient vu le registre autrefois. Mais, celui-ci n’a toujours pas été retrouvé. 

Pour le problème de la perte du registre : voir l’explication donnée par Monsieur Bousmanne dans notre article du 27 octobre.

Mise à jour du 1er décembre :

Le revolver de Verlaine a été vendu hier chez Christie’s au prix de 434.500 euros. Le Musée de Charleville n’a pas eu les moyens de l’acquérir. La souscription lancée par la ville natale de Rimbaud n’avait recueilli qu’une somme modeste. Nous pensons qu’il n’y a pas à regretter que le Musée n’ait pas eu à dépenser une fortune pour ce revolver. Rappelons que des dons remarquables ont eu lieu ces dernières années au Musée Rimbaud. Celui de la famille Bardey comprenant notamment le manuscrit autographe de la notice de l’Ogadine de Rimbaud ; la belle montre d’explorateur de Rimbaud offerte par les héritiers de Paterne Berrichon ; la reproduction de la photographie de Rimbaud par Carjat, attestée par Isabelle Rimbaud, offerte par la Fondation Catherine Gide et qui figure en tête de cet article. 

Mise à jour du 13 décembre :

Vente Rimbaud à Brest le 18 décembre.

Mise à jour du 18 décembre

Des dessins attribués à Rimbaud n’ont pas trouvé preneur à Brest hier. L’authenticité de ces dessins ne semble pas suffisamment établie.

Mise à jour du 4 janvier 

FR3 Culture. DR.


Le musée Rimbaud est fermé jusqu’au 16 janvier. La dernière acquisition du musée : un carnet dans lequel sont collées des épreuves d'un article de Verlaine de 1888, consacré à Arthur Rimbaud, sera exposée à partir du mois de mars. Il s'agit du manuscrit de l'article intitulé Arthur Rimbaud paru dans Les Hommes d'aujourd'hui, n°318, du 17 janvier 1888. Voir notre photo ci-dessus.

Je remercie Carole Galtier pour son cliché de la photographie Carjat réalisée au Musée Rimbaud.
JB

mercredi 2 novembre 2016

Entretien avec Olivier Bivort.



Olivier Bivort. DR.


Jacques Bienvenu :
Pouvez-vous nous parler de votre parcours universitaire avant vos fonctions actuelles de professeur de littérature française à l’Université « Ca’ Foscari » de Venise ?

Olivier Bivort :
Je suis parti en Italie à la fin de mes études de philologie romane à l’Université libre de Bruxelles. J’ai été longtemps lecteur de français à l’Université de Vérone avant de devenir maître de conférences à l’Université de Trieste, puis professeur. J’enseigne aujourd’hui la littérature française à l’Université « Ca’ Foscari » de Venise.


Siège de l'Université "Ca' Foscari" à Venise
JB :
Vous avez donc commencé vos études supérieures par l’équivalent de ce qu'on appelle en France « lettres modernes »,  à l’Université libre de Bruxelles comme André Guyaux (voir notre entretien). L’intérêt que vous avez pour la poésie de Rimbaud date-t-il de cette époque ?

OB :
Ma passion pour Rimbaud date de mon adolescence et principalement de ma lecture d’Une saison en enfer. J’avais été intrigué, au lycée, par un commentaire du « Lagarde et Michard » sur le sens de Adieu, lu comme une capitulation, un déni de révolte et d’ambition poétique. Je n’avais pas du tout ce sentiment-là : j’y percevais au contraire un nouvel élan, à la fois lyrique et personnel, vers d’autres mondes, d’autres possibilités. La phrase « à l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes » me faisait rêver. La pensée poétique de Rimbaud est toujours en tension, prête à rebondir. Quand il écrit dans la lettre du Voyant que  la poésie « sera en avant », il ne lui donne pas de fin et il ne se donne pas de finalité. Sa conscience de l’échec, quand elle est exprimée,  ne va jamais sans une volonté de repartir, sans un désir de se régénérer : « Départ dans l’affection et le bruit neufs ! » Cette question ne m’a pas lâché : plus tard, bien plus tard, j’ai essayé d’y répondre dans un de mes premiers articles.
                                                                                           
                                                                                             JB :
Commentaire de Adieu du « Lagarde et Michard »
La datation relative d’Une Saison en enfer et des Illuminations est l’un des grands problèmes des études rimbaldiennes. On ne sait toujours pas encore aujourd’hui si les poèmes des  Illuminations ont été totalement ou en partie écrits après Une saison en enfer. Quelle est votre position sur cette énigme chronologique ?

OB :
Il faut rappeler que ce qu’on appelle « la question chronologique » s’est imposée dans les études rimbaldiennes après la publication de la thèse de Bouillane de Lacoste, en 1949. Jusque là et pour la majorité des lecteurs, il ne faisait pas de doute que Rimbaud donnait son congé définitif à la littérature dans Une saison en enfer. Or les conclusions de Bouillane de Lacoste ont bouleversé cette perspective : en montrant que Rimbaud avait recopié une partie de ses poèmes en 1874, il déplaçait les limites de son œuvre et contraignait les lecteurs à revoir les étapes de son évolution, beaucoup moins linéaire que ce qu’on pensait. L’étude de la chronologie de l’œuvre de Rimbaud, très complexe, montre en tout cas que le poème en prose n’est pas pour lui l’ultime étape d’un processus qui fait suite à l’abandon du vers : Delahaye fait même mention de poèmes en prose que Rimbaud aurait lus chez leur ami Bretagne, en 1870 ! Parallèlement à une évolution du vers, il y a une évolution de la prose chez Rimbaud, des Déserts de l’amour aux Illuminations. Aujourd’hui il y a un consensus, qui me semble acceptable, qui veut que la composition et la mise au point des Illuminations s’étendent sur deux, voire sur trois années, sans conflit avec Une saison en enfer. C’est d’ailleurs ce qu’affirmait Verlaine : « ce livre fut écrit de 1873 à 1875, parmi des voyages tant en Belgique qu’en Angleterre et dans toute l’Allemagne. » Verlaine est parfois évasif, mais n’oublions pas que c’est à lui que Rimbaud avait confié un manuscrit de ses poèmes en prose !

Photo JB.
JB :
L’importance de Verlaine dans la compréhension de l’œuvre rimbaldienne est très grande et il faut en limiter le sujet. Rappelons que vous êtes un spécialiste de Verlaine comme en témoignent vos éditions de ses œuvres poétiques dans la collection « Classiques » du Livre de poche. Vous écrivez que « les deux poètes ont travaillé parallèlement, ont collaboré à l’occasion ; [et qu’] ils se sont ouvert de nouveaux horizons ». Pouvez-vous nous parler de ce moment où en 1872  les « vers nouveaux » de Rimbaud répondent aux Romances sans paroles de Verlaine ?

 OB :
Verlaine a été en contact avec Rimbaud pendant près de deux ans, et en particulier en 1872 : cette année-là, ils sont ensemble à Paris, en Belgique et en Angleterre. Ils ont donc eu l’occasion de partager des idées, de confronter leurs œuvres respectives et même de se censurer : Rimbaud aurait déconseillé à Verlaine d’insérer les poèmes sur Mathilde dans son futur recueil. Verlaine voulait d’ailleurs dédicacer son livre à Rimbaud, « ces vers ayant été faits lui étant là et m’ayant poussé beaucoup à les faire ». Du point de vue poétique, les affinités ne manquent pas entre les poèmes des Romances sans paroles et les vers que Rimbaud écrit à partir du mois de mai 1872. Voyez par exemple l’intérêt que les deux poètes portent à des genres appartenant à la « petite » littérature, comme les chansons populaires : Rimbaud en parle dans « Alchimie du verbe », le chapitre d’Une saison en enfer qu’il consacre précisément à sa poétique de 1872, et Verlaine, qui est un grand amateur de chansons, en fait souvent état dans sa correspondance. Ils en utilisent tous les deux les ressources : des vers courts, une rythmique soutenue, des répétitions, une apparente simplicité, une légèreté de ton. Plus que d’influence, il est préférable de parler d’expérience partagée, d’une esthétique commune qui se vérifie surtout sur le plan des formes et de l’expressivité, chacun conservant son autonomie, sa sensibilité et sa personnalité dans le choix des contenus.

JB :
Cependant, il semble que Verlaine n’appréciait pas les poèmes « seconde manière » de Rimbaud, or c’était justement ceux que Rimbaud avait écrits en sa compagnie. Qu’en pensez-vous ?

 OB :
Dans les Poètes maudits, après avoir cité la première strophe d’Éternité, Verlaine écrit que, dans ses « derniers vers », le poète en Rimbaud « disparaît », tout en précisant qu’il entend par là le « poète correct » « dans le sens un peu spécial du mot ». Il ne faut pas se méprendre sur cette censure apparente. En fait, les réserves de Verlaine portent essentiellement sur la versification de Rimbaud, ce qui ne l’empêche pas de trouver ses vers « superbes » et de louer leur « beauté mystérieuse ». Car Verlaine est un novateur qui opère dans les limites d’une tradition, celle du vers français ; ce  n’est pas un conformiste mais ce n’est pas non plus, comme l’est Rimbaud, un iconoclaste. S’il qualifie les vers de 1872 de « vers libres, très libres », c’est parce que, pour lui, Rimbaud n’a plus observé ces attributs essentiels et nécessaires du vers français que sont la mesure et la rime, tout en continuant d’écrire des poèmes « en vers » ; et c’est pourquoi ce sont Les Effarés, Les Assis, Les Chercheuses de poux ou Le Bateau ivre qu’il retient parmi les « chefs-d’œuvre » de l’œuvre en vers de Rimbaud, et ceci en vertu de leur « versification impeccable ».


Photo JB.
JB :
Le vers de onze syllabes apparaît simultanément dans les poèmes de Verlaine et Rimbaud au moment de leur compagnonnage. Peut-on attribuer à Marceline Desbordes-Valmore l’usage de ce mètre particulier ? Plus généralement que pensez-vous de l’importance de cette poétesse douaisienne dont vous avez montré qu’elle avait inspiré Rimbaud ?

OB :
Dans le chapitre des Poètes maudits qu’il consacre à Marceline Desbordes-Valmore, Verlaine écrit que c’est elle qui « le premier d’entre les poètes de ce temps, a employé avec le plus grand bonheur des rythmes inusités, celui de onze pieds entre autres ». Il est très probable que la « redécouverte » de ce vers par Rimbaud et puis par Verlaine se soit faite par l’intermédiaire de l’œuvre de la poétesse de Douai. Rimbaud en premier : c’est lui qui aurait « forcé » Verlaine de lire toute l’œuvre de Marceline, alors que celui-ci n’y voyait qu’un « fatras avec des beautés dedans ». Rimbaud s’essaie au vers de onze syllabes dès le printemps 1872 : Larme, La Rivière de cassis, Michel et Christine, « Est-elle almée » » sont en tout ou en partie écrits dans cette mesure alors qu’elle n’apparaît qu’une seule fois dans les Romances sans paroles. Rimbaud témoigne d’ailleurs de son intérêt pour l’œuvre de Marceline à cette époque : au dos d’un manuscrit de Patience d’un été (une autre version de Bannières de mai), il transcrit un vers de C’est moi, un poème de Desbordes-Valmore publié pour la première fois en 1825 : « prends-y garde, ô ma vie absente ! » Le lyrisme mélancolique de la poésie féminine l’attire (souvenons-nous de son inclination pour Louisa Siefert) mais il est aussi sensible à la manière de Marceline, notamment à la grande variété de mètres et de rythmes qui caractérise ses poèmes. En revanche, le nom de Marceline Desbordes-Valmore n’apparaît qu’en juin 1873 sous la plume de Verlaine, dans une lettre à Émile Blémont : Verlaine recommande la lecture de Pleurs et de Pauvres fleurs à son correspondant et cite en exemple quelques vers de Dormeuse (qu’il intitule Berceuse !), un poème qui alterne des vers de cinq et de sept syllabes. Rappelons que sa propre Berceuse, dans Cellulairement, est composée en vers de cinq syllabes. Il est un fait qu’on attribue le plus souvent à Verlaine le mérite d’avoir promu l’usage du vers impair dans la poésie moderne, suite au succès de son Art poétique : « De la musique avant toute chose, /Et pour cela préfère l’Impair » ; et il est vrai qu’il a pratiqué l’impair avec constance dès les Poèmes saturniens. Mais il semble bien que ce soit Rimbaud qui ait tiré parti de l’hendécasyllabe avant que Verlaine ne se l’approprie et, par ailleurs, ne lui reconnaisse cette précellence : c’est en vers de onze syllabes qu’il compose Crimen amoris, un poème magnifique écrit en juillet ou en août 1873, en prison, à Bruxelles, dans lequel il glorifie la geste d’un « Satan adolescent » qui a tous les traits de Rimbaud.


Marceline Desbordes-Valmore 
Fin du poème C'est moi de Desbordes-Valmore

JB :
Vous avez organisé le colloque Rimbaud poéticien à Venise en novembre 2013 et vous êtes l’un des quatre organisateurs du prochain colloque sur Rimbaud qui aura lieu à la Sorbonne en mars 2017. À ce titre, comment voyez-vous l’avenir de la recherche rimbaldienne ?

OB :
J’ai eu la chance de profiter d’un beau moment de l’histoire des études rimbaldiennes, celui où, pendant les vingt dernières années du xxe siècle, la philologie, la textualité, l’herméneutique étaient au centre du discours critique. On organisait à l’époque presque un colloque par an : c’était sans doute excessif et pas toujours fructueux mais ça permettait des échanges, des mises au point, un partage des connaissances. Un certain épuisement des études sur Rimbaud, qui est peut-être le contrecoup de l’époque précédente, a caractérisé le début des années deux mille : sans généraliser, de nombreuses redites, le repli sur la biographie et l’iconographie, l’éloignement des textes « canoniques » me semblent témoigner d’un manque d’objectifs définis. Il est vrai que cette désorientation épistémologique a touché l’ensemble de la critique universitaire. Aujourd’hui, on assiste à un regain d’intérêt pour le Rimbaud zutiste et pour la parodie en général. C’est un aspect relativement important qui mérite d’être approfondi mais qui a parfois pour effet de projeter une lumière déformante sur les autres parties de l’œuvre. Cette tendance à généraliser des grilles de lecture en fonction d’un motif ou d’une pratique limités dans le temps et dans l’espace de l’œuvre n’est pas nouvelle : elle continue de faire les beaux jours de la critique partisane, qui défend tel ou tel point de vue en l’appliquant à l’ensemble du corpus. Il est difficile d’imaginer l’avenir ! Dans leur appel à communication, les organisateurs du prochain colloque ont lancé quelques suggestions dans l’espoir de ranimer le dialogue entre les chercheurs et de relancer les études rimbaldiennes. Cela n’empêche pas, bien heureusement, que la « machine » rimbaldienne continue de produire chaque année son lot de post, d’articles et de livres.

JB :
Pensez-vous que les nouveaux moyens informatiques (catalogues en ligne, Gallica, moteurs de recherches, etc.) ont bouleversé la recherche sur Rimbaud  ?

 OB :
Je ne pense pas qu’on puisse parler de véritable bouleversement. La bibliothèque digitale universelle qui est en train de se développer sur le web s’enrichit chaque jour et elle permet de consulter en temps réel des millions de documents de toute espèce. Les moteurs de recherche, encore très élémentaires, nous aident à effectuer en un instant une recherche qui nous aurait occupés des semaines en bibliothèque. Mais cette énorme masse d’informations nous donne aussi l’illusion d’avoir accès à un savoir total ; or, pour rester dans le domaine français, nous sommes loin d’avoir à notre disposition tous les documents, manuscrits et imprimés produits dans cette langue. La plus grande découverte rimbaldienne de ces dernières années ne s’est pas faite grâce au web : il a fallu qu’un amateur  tombe chez un libraire sur une collection du Progrès des Ardennes pour que l’on retrouve Le Rêve de Bismarck qui y sommeillait depuis 1870 ! Les « humanités digitales » sont encore au berceau : ce sont les moyens d’accès à l’information qui ont changé, beaucoup moins les perspectives de recherche. Les logiciels associés à des bases de données comme Gallica nous permettent d’affiner nos connaissances dans des domaines très traditionnels comme la réception, l’intertextualité et l’histoire littéraire : une mine pour les auteurs peu connus, ce qui n’est pas le cas de Rimbaud. Les outils informatiques me semblent plus performants dans le champ textuel : les bases de données comme Frantext et les répertoires de formes sont de précieuses ressources pour l’analyse. Il serait souhaitable de construire une bibliothèque virtuelle de la critique rimbaldienne, indexée, dynamique et collective, qui offrirait une bibliographie régulièrement mise à jour et rassemblerait la totalité des études sur le poète. Pour l’instant, on ne peut qu’inviter les chercheurs à mettre en ligne leurs travaux, en accès libre et gratuit. S’il y a quelque chose qui doit être au cœur des humanités digitales, c’est bien le partage du savoir.

 JB :
Comme nous l’avons dit au début de notre entretien, vous enseignez la littérature française à Venise. Que peut-on dire de la réception de Rimbaud en Italie ?

OB :
Rimbaud a été connu très tôt en Italie, dès les années 1880, grâce à un jeune critique napolitain, Vittorio Pica, qui s’était mis en contact avec Verlaine. C’est à Pica que l’on doit, par exemple, la première exégèse de Voyelles. À l’époque, l’attention des écrivains italiens qui se réclament de la modernité est tout entière tournée vers la France et le symbolisme, qui leur offrent de nouveaux modèles. C’est ainsi que Rimbaud devient une sorte de catalyseur des mouvements d’avant-garde italiens au début du siècle. La première monographie consacrée à Rimbaud hors de France est italienne : elle est publiée à Florence en 1911 par Ardengo Soffici, artiste et poète francophile en étroite relation avec Apollinaire. Il faut souligner que Rimbaud a toujours captivé les poètes italiens, de Montale à Pasolini, à Luzzi... La littérature française moderne subit un coup d’arrêt pendant la période fasciste (1923-1943) et ce n’est qu’après la guerre que renaît l’intérêt pour Rimbaud en Italie, tant du point de vue éditorial qu’universitaire. La biographie de Rimbaud par Enid Starkie est traduite en italien en 1950, trente ans avant sa version française ! C’est alors que se forme une véritable « école rimbaldienne » italienne, active pendant toute la deuxième moitié du xxe siècle : composées d’excellents chercheurs comme Mario Matucci, Ivos Margoni, Sergio Solmi, Mario Richter et Sergio Sacchi, elle va contribuer à approfondir la connaissance de l’œuvre de Rimbaud par de très nombreux travaux en français et en italien (éditions commentées, livres, articles, comptes rendus…). Plusieurs colloques autour de Rimbaud seront organisés en Italie à partir des années quatre-vingt, et une grande exposition lui sera consacrée à Gênes en 1998. Il ne faut pas oublier que Rimbaud a aussi partie liée à l’histoire coloniale de l’Italie : on doit à Carlo Zaghi un livre important sur Rimbaud in Africa, malheureusement peu connu en France.


Vittorio Pica
 JB :
Sur la vie africaine de Rimbaud nous avons de précieux témoignages d’explorateurs et de commerçants italiens. Que vous inspire cette seconde vie du poète ? Comment expliquez-vous le silence poétique de Rimbaud ?

 OB :
La vie de Rimbaud en Afrique m’intéresse d’un point de vue historique et biographique, sans plus. Je ne vois dans son aventure coloniale ni le reflet de sa poésie, ni celui de sa révolte. Je ne crois pas à l’idée romantique d’une « œuvre-vie » qui ferait de cette expérience le prolongement de sa période littéraire, ni de celle-ci une anticipation de son destin ; celui qui voulait changer la vie a simplement changé de vie. Sa fin tragique me touche et m’émeut, bien sûr, mais je suis ses aventures comme je suivrais celles d’autres explorateurs de l’époque, à la différence que, contrairement à ses collègues qui le fréquentaient à Aden ou à Harar sans rien savoir de sa vie passée, je sais qu’il ne s’intéressait plus à « ça ». Ce qui m’amène à la deuxième partie de votre question. J’essaierai d’y répondre en m’arrêtant sur quelques éléments qui m’aideront à préciser ma pensée. 
La question du  « silence » de Rimbaud a été abordée très tôt dans l’histoire, au moment même où le poète décidait de s’éloigner de la littérature. En avril 1875, Verlaine écrit à Delahaye que les nouvelles idées de Rimbaud, avec qui il a eu de violentes discussions un mois auparavant, « ne parviendront à faire de lui qu’un “monstre” d’impuissance, d’improduction et d’illogisme. » Il lui reproche évidemment son athéisme, mais aussi son positivisme, et il en pressent déjà les conséquences sur le plan de la création. C’est que Rimbaud a choisi une autre voie, qui n’est plus celle de la littérature : le 14 avril 1875, il demande à Delahaye des renseignements sur le « bachot » en sciences qu’il a l’intention de préparer. Et il est en Allemagne pour apprendre l’allemand, par pour batifoler. En octobre 1875, Verlaine envoie au même Delahaye un poème (inséré plus tard dans Sagesse) où il parle explicitement de Rimbaud et de son changement de cap, regrettant le gaspillage de ses forces et le sacrifice de ses dons à la « Science » (qu’il écrit entre guillemets et avec une majuscule, par mépris) au nom de la « fadaise actuelle », c’est-à-dire des idées progressistes de son temps, qu’il méprise encore davantage. « Ta parole / Est morte de l’argot et du ricanement / et d’avoir rabâché les bourdes du moment » écrit encore Verlaine, insistant cette fois sur l’orgueil et l’arrogance de son ami, et peut-être déjà sur son mépris pour la poésie.


Dessin de Verlaine, lettre à Ernest Delahaye du 24 mars 1876.

Un sursaut d’orgueil peut être le fruit d’une déconvenue – la défaite nous rend parfois superbes – mais cette attitude appartient au caractère de Rimbaud qui la manifeste à plusieurs reprises dans son œuvre (dans Génie, l’orgueil est dit « plus bienveillant que les charités perdues » !) Rimbaud n’est pas un rêveur : c’est un homme d’action qui se fixe des objectifs et qui, en les poursuivant, prend peu à peu conscience de ses limites. Et il ne se satisfait ni d’un succès, ni d’un échec. Il veut être constamment en avant, comme la poésie qu’il présageait dans la lettre du Voyant. Il me semble que la détermination avec laquelle il a décidé de couper les ponts avec la littérature (et avec le monde de la littérature, c’est tout aussi important) réponde à cette exigence, quelle qu’ait été, pour lui, l’issue de son expérience poétique, une expérience qu’il a menée à son terme. Je ne pense pas que ce soient le regret d’une carrière manquée ou la faillite de sa poésie qui aient dicté ses choix. Bien des passages d’Une saison en enfer et des Illuminations expriment à la fois le pressentiment d’une fin et un désir de renouveau, ce qui empêche à mon sens de statuer sur son œuvre en termes de réussite ou d’échec et d’assigner à son acte la valeur d’un renoncement. Je laisserais en définitive la parole à Verlaine qui, dans Les Poètes maudits, écrivait : « que M. Arthur Rimbaud […] soit assuré de notre complète approbation (de notre tristesse noire, aussi) en face de son abandon de la poésie, pourvu, comme nous n’en doutons pas, que cet abandon soit, pour lui, logique, honnête et nécessaire. »

JB :
Nous arrivons au terme de notre entretien. Pour conclure, pouvez-vous nous dire si vous avez  des projets de publications concernant Rimbaud et Verlaine ? 

OB :
Je termine une édition critique d’Amour et de Parallèlement, de Verlaine, à paraître au Livre de poche « Classique » et je travaille à une édition commentée de l’œuvre de Rimbaud, en italien, pour la collection des « Classiques français » de l’éditeur Marsilio. 

Les principaux travaux d'Olivier Bivort sur Rimbaud et Verlaine sont librement accessibles en ligne à cette adresse. On peut lire aussi l'article Un puzzle inachevé dans le dossier du Magazine littéraire de novembre 2016 : Verlaine, Rimbaud, un couple scandaleux.

jeudi 27 octobre 2016

Un drôle de pistolet (mis à jour le premier novembre)


Ombre de Paul Verlaine tenant un revolver.
Détail d'un dessin d'Ernest Delahaye. BLJD.


Le revolver Lefaucheux avec lequel Paul Verlaine blessa Arthur Rimbaud, le 10 juillet 1873 à Bruxelles, sera mis en vente aux enchères le 30 novembre chez Christie's à Paris. Le prix de cette arme est estimé entre 50 000 et 60 000 euros. Cette information est largement diffusée depuis environ une semaine par la presse. La ville de Charleville-Mézières lance même une souscription publique pour l’achat du revolver.

Confisqué par la police après l’arrestation du poète, le revolver aurait été remis, selon l’usage de l’époque, à l’armurerie Montigny où Verlaine l’avait acheté. Un siècle plus tard, cette même armurerie fermait et son propriétaire offrait l’arme à J.R. un collectionneur privé, demeurant en Belgique. Après analyses balistiques et recoupements historiques, il semble acquis que ce revolver est bien celui que Paul Verlaine acheta à Bruxelles le 10 juillet 1873, et avec lequel il tira sur Rimbaud. 

C’est Bernard Bousmanne le maître d’oeuvre de la remarquable exposition Verlaine de Mons en 2015 qui avait exposé pour la première fois ce revolver (voir notre photo ci dessous). Il raconte dans cette vidéo la manière dont il a eu connaissance de cette arme.

Photo prise le 5 novembre 2015 par Jacques Bienvenu
 à l'exposition Verlaine de Mons.

Il s’était déjà longuement expliqué en 2006 dans son beau livre Reviens, reviens, cher ami. Dans cet ouvrage, le conservateur de la Bibliothèque royale de Belgique répondait à la question essentielle : l’arme conservée par J.R. est-elle bien celle achetée le matin du 10 juillet 1873 ? Je donne textuellement sa réponse :

« Probablement. Il manque cependant une preuve indiscutable. Malheureusement, l’étiquette avec le numéro d’inscription a disparu. Quant au registre de vente de l’armurier Montigny, qui couvrait les années 1870 à 1970, il a été saisi dans les années 1990 par la police belge qui enquêtait alors sur une sordide affaire de meurtre dans la province de Liège. Transmis ensuite aux archives de la police,le registre a été classé par la gendarmerie sous le nom de la personne condamnée à cette époque. Pas sous celui de Montigny. Sauf coup de chance incroyable, impossible dès lors de le retrouver parmi les milliers de dossiers que les archivistes de la police de Liège reçoivent chaque année. Pourtant ce registre donnerait sans aucun doute la preuve incontestable que le revolver de J.R. est celui du procès de Bruxelles ne font qu’un. Il faudra chercher encore. » (p.153).



Le registre n’a toujours pas été retrouvé, mais j’ai interrogé Bernard Bousmanne pour lui demander son opinion actuelle sur l’authenticité du revolver. Sa conviction s’exprime de manière plus catégorique depuis 2006 : il est certain qu’il s’agit bien du revolver de 7 mm de type Lefaucheux que Verlaine a acheté un certain 10 juillet 1873 chez l’armurier Montigny dans les galeries Saint-Hubert de Bruxelles. 

Mise à jour du premier novembre : On trouve sur le site des inrocks l'information suivante : Pour Isabelle de Conihout, l’origine de l’arme ne laisse place à aucun doute : “Le pistolet porte bien sur la crosse le numéro 14096 qui correspond à celui inscrit sur le registre de l’armurerie, en face duquel figure le nom de Verlaine lorsqu’il l’a achetée.”

Le registre aurait donc été retrouvé ?  Voir la réponse dans l'article mis à jour le 15 novembre.

mercredi 19 octobre 2016

Sur les « Œuvres complètes » de Rimbaud dans la Pléiade, 2015. Des retouches superficielles ou une immense révision ?



Dans un article récent, Takeshi Matsumura étudie minutieusement les modifications apportées entre l’édition de 2009 et le troisième retirage de 2015 des Œuvres complètes de Rimbaud dans la Pléiade. Il pose la question de savoir s’il ne faudrait pas utiliser la formulation : « édition revue et corrigée ». Dans les différentes variantes qu’il observe, le critique japonais cite plusieurs articles de mon blog dont il pense qu’ils auraient dû être mentionnés dans la Pléiade. Je remercie M. Matsumura de son opinion flatteuse pour mon blog, mais je crois que se pose ici le problème de la référence électronique et de la référence papier, problème très intéressant par ailleurs. La Pléiade représente la référence papier absolue. L’impression de l’ouvrage se fait sur papier bible comme pour en montrer symboliquement le caractère sacré. Quel que soit le sérieux d’une publication électronique, il me semble qu’elle n’a pas, du moins pour l’instant, la valeur d’une référence papier publiée et déposée à la Bibliothèque nationale. C’est d’ailleurs une idée que je caresse pour ce blog : en donner une publication papier pour certains articles, les entretiens notamment. On ne peut donc pas reprocher à André Guyaux de ne pas donner des références électroniques dans la Pléiade. L’avenir dira si cette édition prestigieuse évoluera sur cette question. Précisons que la Pléiade Rimbaud en est à sa cinquième réimpression, ce qui est remarquable.

M. Matsumura est professeur à l’université de Tokyo. Il a obtenu le grand prix de la francophonie 2016. C’est un grand spécialiste du français médiéval. Nous sommes sensibles à l’intérêt qu’il porte à l’édition des Œuvres complètes de Rimbaud.

JB

dimanche 16 octobre 2016

Alain Tourneux nouveau président de l'association des amis de Rimbaud

Alain Tourneux debout et Jean-François Laurent.
Photo Jacques Bienvenu.

Les amis de Rimbaud réunis hier à Paris en assemblée générale ont élu Alain Tourneux président de l’association des amis de Rimbaud. Il remplace à ce poste Jean-François Laurent. L’ancien conservateur du Musée Rimbaud devient aussi directeur de la revue Rimbaud vivant. Jacqueline Tessier-Rimbaud arrière-petite-nièce du poète de Charleville a été élue vice-présidente de l’association.

dimanche 25 septembre 2016

Extraits inédits de la conférence du 20 octobre 2015 (mis à jour le 6/10/2016)


Le 20 octobre 2015, je donnais une conférence à la médiathèque Voyelles de Charleville-Mézières intitulée : Le mystère des visages de Rimbaud. Voici pour la première fois de larges extraits de cette conférence avec, pour l’anecdote, l’intervention inattendue de Patrick Taliercio.

À voir sur ce lien.

JB
Mise à jour du 1/10/2016
On me signale un lapsus au début de la conférence quand je dis que la photographie de la première communion est de mai 1868 au lieu de mai 1866 bien sûr !

Mise à jour du 6/10/2016
Voir l'article de David Ducoffre :  Retour sur un "détail" de la conférence de Jacques Bienvenu du 20 octobre 2015

jeudi 15 septembre 2016

La première publication de "Tête de faune".


Dans un article récent, Olivier Bivort a publié un compte rendu inédit des Poètes maudits fait dans La Revue critique du 13 avril 1884 par Charles Morice. On connaissait l’existence de ce compte rendu, car il était mentionné dans le numéro du 20 avril 1884 de La Revue critique comme ayant figuré dans la livraison de la semaine précédente. La Bibliothèque nationale ne possédant pas le numéro du 13 avril personne n’avait pu à ce jour trouver cet exemplaire. Olivier Bivort a eu l’idée de consulter le fonds Lovenjoul de la bibliothèque de l’Institut de France qui comporte une collection complète de la revue. Il a donc pu publier cette recension inédite.

L’intérêt majeur de ce compte rendu est qu’il reproduit pour la première fois le poème Tête de faune de Rimbaud qui ne sera publié dans La Vogue qu’en 1886. On le supposait, car Verlaine dans une lettre avait suggéré à Charles Morice de citer ce poème. Le voici tel qu’il a été publié dans la revue :

        Tête de faune

Dans la feuillée, écrin vert taché d'or,
Dans la feuillée incertaine et fleurie
D’énormes fleurs où l’âcre baiser dort,
Vif et crevant l'exquise broderie

Le faune affolé montre ses grands yeux
Et mord la fleur rouge avec ses dents blanches;
Brunie et sanglante ainsi qu'un vin vieux
Sa lèvre éclate en rires par les branches :

Et quand il a fui — tel un écureuil,
Son rire perle encore à chaque feuille,
Et l'on croit épeuré par un bouvreuil
Le baiser d'or du bois qui se recueille.

Dans son article, Olivier Bivort signale que j’ai montré que ce poème avait été communiqué à Verlaine par Ernest Raynaud qui l’avait trouvé chez Théodore de Banville. Cette provenance Banvillienne est capitale, car elle permet d’inscrire le poème Tête de faune dans la continuité d’un dialogue entre Rimbaud et Banville. Le poème Tête de faune présente  des singularités métriques qui prennent tous leurs sens dans ce dialogue. Ce sera l’occasion d’une prochaine publication de ce blog. En attendant, saluons cette remarquable découverte d’Olivier Bivort. Son article intitulé : Des Poètes maudits à Tête de Faune peut être consulté dans le volume d’hommage à Michel Pakenham : Les Chemin des correspondances et le champ poétique, 2016, Classiques Garnier.




lundi 12 septembre 2016

Prochain article

Notre prochain article portera sur la découverte par Olivier Bivort d'un compte rendu inédit des Poètes maudits.

En préparation : Entretien avec Olivier Bivort.

mercredi 17 août 2016

Rimbaud et l'énigme Louisa Siefert


La lettre de Rimbaud à Izambard du 25 août 1870, dont nous avons parlé récemment, comporte une petite énigme. Rimbaud y avait écrit : 

 « - Vous aviez l’air de vouloir connaître Louisa Siefert, quand je vous ai prêté ses derniers vers ; je viens de me procurer des parties de son premier volume de poésies, Les rayons perdus 4e édition, j’ai là une pièce très émue et fort belle, Marguerite ».

En 1870, la 4e édition n’existait pas encore. Dans sa notice du Dictionnaire Rimbaud sur Louisa Siefert,  Aurélia Cervoni précise que la 4e édition n’est sortie de presse qu’en janvier 1873. Pourquoi Rimbaud fait-il référence à la 4e édition  et comment a-t-il pu se procurer seulement des « parties » des Rayons perdus ?


Photographie Vincent Malausa. DR.


À La suite  de notre précédent article, nous avons reçu une très intéressante information de Vincent Malausa qui nous a communiqué une photographie d’une page de la première édition datée de 1870 des Stoïques de Louisa Siefert. Sur cette page, qui indique les ouvrages du même auteur, on peut lire : « Les Rayons perdus, poésies. 4e édition ».Vincent Malausa nous informait en outre qu’une troisième édition des Rayons perdus indiquait comme achevé d’imprimer : avril 1869. 

On pouvait alors se demander si entre avril 1869 et août 1870 une quatrième édition n’avait pas vu le jour avant 1873, d’autant plus qu’entre la seconde édition et la troisième il s’était écoulé seulement trois mois ! 

Photographie Vincent Malausa. DR.

Pourtant, la quatrième édition date bien de 1873 comme le confirme le livre  : « Louisa Siefert, Souvenirs rassemblés par sa mère » où nous avons trouvé l’information recherchée :  

« M. Viollet-le-Duc, qui écrivait quelques fois au Journal des débats, se fit un plaisir d’y annoncer la quatrième édition des Rayons perdus qui venaient de paraître (…) ». (p.185)

Cet article étant daté de mars 1873 la question de la date de la quatrième édition est définitivement résolue. 

Rimbaud avait précisé  à Izambard qu’il lui avait communiqué les derniers vers de Louisa Siefert. Il s’agit donc certainement des Stoïques paru en  mai 1870. On sait de plus, que Rimbaud a évoqué les plaintes d’Antigone comme l’avait fait Asselineau dans la préface de la seconde édition. C’est donc  bien de cette édition ou de la troisième dont Rimbaud parle à Izambard. Pourtant, s’il avait eu le livre en main il n’aurait pas manqué de voir de quelle édition il s'agissait. Il faut donc admettre qu’il n’avait pas le livre des Rayons perdus mais bien seulement, comme il le dit, des « parties » de cet ouvrage.

Parmi les  comptes rendus des Rayons perdus, aucun ne reproduisait en entier le poème Marguerite, pas même l’important et élogieux article de Louis Etienne dans la Revue des deux mondes. Rimbaud n’a donc pas pu y trouver ses longs extraits de Marguerite. On ne peut  pas non plus  soutenir comme Steve Murphy que Rimbaud a donné ses extraits en lisant les  pages non coupées d’un livre dans une librairie :  Les extraits sont situés sur toutes les pages 26 à 29 du livre aussi bien pour la seconde édition que pour la troisième qui reproduit à l’identique la précédente. 

Envisageons une autre hypothèse. En mai 1870,  Rimbaud avait écrit à Théodore de Banville sans en parler à Izambard. Ceci est attesté par le professeur de Rimbaud. En juin 1871, Rimbaud écrivait aussi au poète Jean Aicard en lui demandant l’envoi de son dernier livre. On peut donc émettre l’hypothèse  que Rimbaud a écrit à Louisa Siefert comme en témoigne le chanteur Renaud qui est parent avec la poétesse et qui a fait plusieurs fois état de cette correspondance aujourd’hui disparue. Certainement, Rimbaud espérait recevoir Les Rayons perdus s’il a écrit à son auteur. 
Le livre de souvenirs de la mère de Louisa Siefert nous apporte d’autres indications précieuses. On y  apprend notamment que parmi les courriers reçus  par  Louisa, il y avait  une lettre d’un maitre d’études désargenté à qui elle avait envoyé par la suite un exemplaire de son livre. Aurait-elle fait pareil avec Rimbaud ? Nous ne le croyons pas. Les exemplaires d’auteur devaient être rares et elle ne pouvait pas en envoyer à tout le monde. Aurait-t-elle recopié pour Rimbaud des « parties » de son livre ? C’est peu probable. Mais on trouve dans le livre de souvenirs une autre information : l’éditeur envoyait  avant la publication de ses livres un jeu d'épreuves pour vérification. Ainsi, avant de recevoir le livre définitif des Stoïques en mai 1870,  La mère de Louisa écrivait : « Louisa en avait d’abord reçu les bonnes feuilles, et elle avait été satisfaite de l’impression et de l’ensemble auquel il ne manquait plus que le brochage » (p.112-113). À  défaut du livre, on peut donc penser que Louisa Siefert a envoyé à Rimbaud une partie des bonnes feuilles des Rayons perdus. Ces extraits devaient sans doute comporter la préface d’Asselineau, si importante pour elle, et quelques poèmes dont Marguerite

On comprend alors que Rimbaud, n’ayant pas eu le livre entre les mains,  mais seulement les « parties » envoyées par Louisa Siefert, ait mentionné l’indication erronée d'une quatrième édition qui figurait dans le livre des Stoïques qu’il avait prêté à Izambard.


Je remercie vivement Vincent Malausa pour sa collaboration et ses pertinentes informations.


Jacques Bienvenu

samedi 6 août 2016

La lettre de Rimbaud à Izambard du 20 août 1870, réflexions autour d'un article de Steve Murphy


Un volume d’hommages consacré à Michael Pakenham Le Chemin des correspondances et le champ poétique a été publié aux éditions Classiques Garnier. Celui-ci comporte une cinquantaine d’articles. Nous ne pouvons pas donner dans l’immédiat un compte rendu de cet important volume que nous sommes en train d’étudier. Néanmoins, nous  apportons ici quelques réflexions qui ont été suscitées par un article de Steve Murphy intitulé Le coeur d’épître. Rimbaud, Louisa Siefert et Nina consacré à la lettre du 25 août 1870 de Rimbaud à Izambard. Steve Murphy a aussi écrit le premier article du volume publié sous sa direction : Michael Pakenham, trouveur ( 1929-2013).

Voici le texte de la lettre de Rimbaud à Izambard du 25 août 1870 :


                                                                     Charleville, 25 août 1870.
   Monsieur,

   Vous êtes heureux, vous, de ne plus habiter Charleville ! — Ma ville natale est supérieurement idiote entre les petites villes de province. Sur cela, voyez-vous, je n'ai plus d'illusions. Parce qu'elle est à côté de Mézières, — une ville qu'on ne trouve pas, — parce qu'elle voit pérégriner dans ses rues deux ou trois cents de pioupious, cette benoîte population gesticule, prud'hommesquement spadassine, bien autrement que les assiégés de Metz et de Strasbourg ! C'est effrayant, les épiciers retraités qui revêtent l'uniforme ! C'est épatant comme ça a du chien, les notaires, les vitriers, les percepteurs, les menuisiers et tous les ventres, qui, chassepot au cœur, font du patrouillotisme aux portes de Mézières ; ma patrie se lève !... moi j'aime mieux la voir assise : ne remuez pas les bottes ! c'est mon principe.
   Je suis dépaysé, malade, furieux, bête, renversé ; j'espérais des bains de soleil, des promenades infinies, du repos, des voyages, des aventures, des bohémienneries enfin : j'espérais surtout des journaux, des livres... — Rien ! Rien ! Le courrier n'envoie plus rien aux libraires ; Paris se moque de nous joliment : pas un seul livre nouveau ! c'est la mort ! Me voilà réduit, en fait de journaux, à l'honorable Courrier des Ardennes, propriétaire, gérant, directeur, rédacteur en chef et rédacteur unique : A. Pouillard ! Ce journal résume les aspirations, les vœux et les opinions de la population, ainsi jugez ! c'est du propre !... On est exilé dans sa patrie !!!!
   Heureusement, j'ai votre chambre : — Vous vous rappelez la permission que vous m'avez donnée. — J'ai emporté la moitié de vos livres ! J'ai pris Le Diable à Paris. Dites-moi un peu s'il y a jamais eu quelque chose de plus idiot que les dessins de Grandville ? — J'ai Costal l'Indien, j'ai La Robe de Nessus, deux romans intéressants. Puis, que vous dire ?... J'ai lu tous vos livres, tous ; il y a trois jours, je suis descendu aux Épreuves, puis aux Glaneuses, — oui ! j'ai relu ce volume ! — puis ce fut tout !... Plus rien ; votre bibliothèque, ma dernière planche de salut, était épuisée !... Le Don Quichotte m'apparut ; hier, j'ai passé, deux heures durant, la revue des bois de Doré : maintenant, je n'ai plus rien ! —Je vous envoie des vers ; lisez cela un matin, au soleil, comme je les ai faits : vous n'êtes plus professeur, maintenant, j'espère !...
   —Vous aviez l'air de vouloir connaître Louisa Siefert, quand je vous ai prêté ses derniers vers ; je viens de me procurer des parties de son premier volume de poésies, les Rayons perdus, 4
e édition. J'ai là une pièce très émue et bort belle, « Marguerite »
..................................................................
Moi, j'étais à l'écart, tenant sur mes genoux
Ma petite cousine aux grands yeux bleus si doux :
C'est une ravissante enfant que Marguerite
Avec ses cheveux blonds, sa bouche si petite
Et son teint transparent...
....................................................................
Marguerite est trop jeune. Oh ! si c'était ma fille,
Si j'avais une enfant, tête blonde et gentille,
Fragile créature en qui je revivrais,
Rose et candide avec de grands yeux indiscrets !
Des larmes sourdent presque au bord de ma paupière
Quand je pense à l'enfant qui me rendrait si fière,
Et que je n'aurai pas, que je n'aurai jamais ;
Car l'avenir, cruel en celui que j'aimais,
De cette enfant aussi veut que je désespère...
..................................................................
Jamais on ne dira de moi : c'est une mère !
Et jamais un enfant ne me dira : Maman !
C'en est fini pour moi du céleste roman
Que toute jeune fille à mon âge imagine...
..................................................................
— Ma vie, à dix-huit ans, compte tout un passé. 

— C'est aussi beau que les plaintes d’Antigone ανυμφη, dans Sophocle. —J'ai les Fêtes galantes de Paul Verlaine, un joli in-12 écu. C'est fort bizarre, très drôle ; mais vraiment, c'est adorable. Parfois de fortes licences ; ainsi :
Et la tigresse épou / vantable d'Hyrcanie
est un vers de ce volume — Achetez, je vous le conseille, La Bonne Chanson, un petit volume de vers du même poète : ça vient de paraître chez Lemerre ; je ne l'ai pas lu ; rien n'arrive ici ; mais plusieurs journaux en disent beaucoup de bien ; — Au revoir, envoyez-moi une lettre de 25 pages — poste restante, — et bien vite !

A. RIMBAUD.

P.-S. — À bientôt, des révélations sur la vie que je vais mener après….. les vacances……………


Cette lettre contient des extraits d’un poème de Louisa Siefert, Marguerite, que nous donnons en faisant apparaître en jaune les vers cités par Rimbaud :

C’était un soir de juin paisible. Du midi
Le vent soufflait chargé d’un parfum attiédi,
Et les deux vieilles tours massives & carrées,
D’un rayon de soleil couchant étaient dorées.
Le ciel d’un bleu d’opale avait des tons charmants ;
Les arbres & les fleurs tressaillaient par moments ;
Partout les foins coupés dormaient sur les prairies.
On eût dit la nature en proie aux rêveries ;
Nous étions réunis tous au bout du jardin ;
Personne ne troublait le silence serein
Qui, du ciel calme & pur, tombait sur toutes choses
Et venait rafraîchir les hommes & les roses.
Moi, j’étais à l’écart, tenant sur mes genoux
Ma petite cousine aux grands yeux si doux :
C’est une ravissante enfant que Marguerite
Avec ses cheveux blonds, sa bouche si petite
Et son teint transparent. — Amour ou chérubin,
Dont rien n’altère encor le sourire divin !
Elle avait tant joué qu’elle était un peu lasse,
Et, comme on voit la fleur sous la brise qui passe
S’incliner, la mignonne avait fermé les yeux,
En appuyant sur moi son front pur & joyeux.
Enlacée à mes bras, elle était immobile ;
La lumière baignait son visage tranquille ;
Elle ne dormait pas, elle semblait rêver.
Et je la regardais se perdre & s’élever
Dans ce cher pays bleu, splendide & solitaire,
Où, depuis si longtemps, je vis loin de la terre.
Tout à coup quelqu’un dit en nous montrant ainsi :
« ― Vraiment, c’est un tableau tout à fait réussi.
« Et comme la petite à la grande ressemble ! »
« Nul n’y pensait avant qu’elles fussent ensemble.
« On dirait, n’est-ce pas ? à les regarder bien,
« Les deux sœurs, ou la mère & l’enfant. » L’entretien
Alors se renoua, sérieux ou frivole.
Autour de moi, chacun, ayant pris la parole,
Sur ce premier avis voulut donner le sien.
Mais, je n’écoutais plus, je n’entendais plus rien,
Non, plus rien que l’haleine égale & reposée
Qui sortait doucement de la lèvre rosée.
Mon cœur seul parlait haut sans craindre de témoin ;
Un mot avait suffi pour l’emporter bien loin,
Et je berçais toujours ma petite cousine
Tandis qu’un long soupir soulevait ma poitrine :
— Les deux sœurs, me disais-je, oh ! non, dans sa douceur
Je la connais bien, moi, l’amitié d’une sœur ;
Je sais ce qu’elle vaut & combien elle est sûre.
Sa tendresse est habile à panser la blessure
Profonde que l’amour nous fait ; son dévoûment
Est, jusqu’en ses détails, sympathique & charmant ;
Sa force est patiente & son ardeur fidèle.
Ma sœur, puissent mes jours s’écouler auprès d’elle !
Puisse Dieu lui donner ce qu’il m’ôte ici-bas !
Ma sœur est mon amie & ne changera pas.
Marguerite est trop jeune. Oh ! si c’était ma fille,
Si j’avais une enfant, tête blonde & gentille,
Fragile créature en qui je revivrais,
Rose & candide avec de grands yeux indiscrets,
Sans cesse demandant des chansons, des caresses
Et de tendres baisers, quelles folles ivresses
Me causeraient sa voix, son parler hésitant
Ou le timbre joyeux de son rire éclatant !
Pour elle, être à mon tour ce qu’est pour moi ma mère,
Et, comme par un souffle, en cette vie amère,
Sentir les maux guéris & les pleurs essuyés
Par le bruit de l’enfant qui jouerait à mes pieds ;
Être le but, la vie & l’âme de cette âme,
L’instruire de ma foi, l’échauffer de ma flamme
Et ne rien demander que sa joie en retour,
Quel rêve, encor plus doux que celui de l’amour !
Des larmes sourdent presque au bord de ma paupière
Quand je pense à l’enfant qui me rendrait si fière,
Et que je n’aurai pas, que je n’aurai jamais ;
Car l’avenir, cruel en celui que j’aimais,
De cette enfant aussi veut que je désespère.
Pourtant elle eût porté le nom de mon grand-père,
Je l’aurais appelée Olympe comme lui.
Doux & brillant reflet du rayon qui m’a lui
Dans les jours d’autrefois, les jours de mon enfance,
Ce nom, porté par elle, à sa fraîche innocence
Se serait rajeuni de nouveau pour longtemps ;
Écho de la vieillesse & chanson du printemps,
Fleur nouvelle naissant de la plante brisée,
Matin tout emperlé des pleurs de la rosée,
Prestige du passé, rêve de l’avenir,
Vie & mort, jour & nuit, espoir & souvenir !
Mais pourquoi tant choyer cette folle chimère ?
Jamais on ne dira de moi : C’est une mère !
Et jamais un enfant ne me dira : Maman !
C’en est fini pour moi du céleste roman
Que toute jeune fille à mon âge imagine.
Du bouquet effeuillé je n’ai plus que l’épine,
La brise s’est changée en ouragan glacé :
Ma vie à dix-huit ans comprend tout un passé.



Rimbaud n’a pas donné correctement le second extrait. Il a mis un point d’exclamation à la place d’une virgule après indiscrets et aurait dû placer  comme suit la série de points :


Marguerite est trop jeune. Oh ! si c'était ma fille,
Si j'avais une enfant, tête blonde et gentille,
Fragile créature en qui je revivrais,
Rose et candide avec de grands yeux indiscrets,
…………………………………………………………
Des larmes sourdent presque au bord de ma paupière
Quand je pense à l'enfant qui me rendrait si fière,
Et que je n'aurai pas, que je n'aurai jamais ;
Car l'avenir, cruel en celui que j'aimais,
De cette enfant aussi veut que je désespère…

Steve Murphy, dans son article, pose cette question :

L’expression « je viens de me procurer des parties de son premier volume se réfère-t-elle à la lecture de quelques poèmes de la quatrième édition des Rayons perdus dans une revue ou dans une recension ? Rimbaud a-t-il clandestinement recopié des extraits dans une librairie en renonçant aux pages non coupées ?


Rimbaud n’a pas pu lire la quatrième édition des Rayons perdus de Louisa Siefert qui ne paraîtra qu’en 1873. Il a lu les poésies dans la seconde édition de 1869. C’est là, dans la préface d’Asselineau que Rimbaud a trouvé le rapprochement avec les plaintes d’Antigone. Il n’a pas recopié des extraits dans un livre en renonçant aux pages non coupés : les extraits sont situés sur toutes les pages 26 à 29 de cette édition. Concernant des articles susceptibles de reproduire des extraits, nous avons retrouvé celui de L’Artiste qui est signalé dans la préface d’Asselineau. L’extrait cité est différent de ceux donnés par Rimbaud. Observons que la critique est élogieuse avant même le succès de la première édition. On reconnaît à Louisa Siefert parfois une écriture virile soulignée aussi par Asselineau. Voici l’article de L’Artiste



Steve Murphy pose au début de son article la question des vers que la lettre aurait pu contenir : « Nous voudrions nous pencher sur une lettre dont on a toujours su qu’elle avait contenu des vers, mais sans savoir lesquels »

Il précise que la lettre de Rimbaud faisait suite au départ d’Izambard « qu’il n’a pas revu depuis quelques semaines. Il ne le retrouvera pas (…) » Or, en septembre à Douai, Rimbaud a revu Izambard qui l’a ramené à Charleville à la fin de ce mois. Rimbaud a donc très bien pu donner des poèmes à Izambard après l’envoi de la lettre du 25 août.
Néanmoins, il est possible que Rimbaud ait pu joindre à la lettre le poème Ce qui retient Nina daté du 15 août. Selon Murphy, les pliures sur le fac-similé reproduit  dans le catalogue de la vente Guérin de 1998 montrent qu’elles coïncident avec ceux de la lettre. Cela ne nous semble pas exact. Le commentaire de Claude Jeancolas dans son édition des manuscrits de Rimbaud est plus précis : « Deux feuillets 208x134mm, papier vergé de 75g, écrits recto verso à l’encre bistre. traces de pliures en deux horizontalement puis repliage des bords extérieurs vers le centre à 3 et 4 cm des bords, ce qui indique un envoi par la poste ». Pour Claude Jeancolas le poème a été envoyé à Georges Izambard en août 1870. Il ne précise pas que l’envoi coïncide avec la lettre du 25 août. 


Dans son article, Steve Murphy soulève un problème philologique et se demande si l’édition habituelle de lettre est juste :

« Il y a en effet une difficulté généralement passée sous silence : les mots « — Vous aviez »  ne sont pas de Rimbaud. Henri Guillemin commentant le manuscrit qu’il a pu examiner à l’époque où il faisait partie de la collection Godoy, certifie que la lettre présente toujours à cet endroit une coupure, attestée par Berrichon comme par Izambard. Or son témoignage publié en 1953, a ceci de curieux que la séquence « —Vous aviez » figure bel et bien sur le fac-similé du manuscrit publié l’année suivante par Suzanne Briet. Il s’agit d’une reconstitution allographe, s’écartant légèrement de la proposition de Guillemin ( «  Vous avez »), y compris par l’ajout de ce tiret. »

Berrichon qui avait édité pour la première fois la lettre en 1912 avait en effet signalé une partie déchirée et avait transcrit : « …[ partie déchirée] …vouloir connaître Louisa Siefert ». De même Henri Guillemin qui avait pu consulter le manuscrit d’Armand Godoy signalait aussi une coupure due à une déchirure dans l’angle supérieur gauche du second feuillet.

Reproduction du catalogue de l'exposition du centenaire de 1954

Mais la leçon du manuscrit est là : il n’y a pas de déchirure comme le montre bien l’excellente reproduction en fac-similé de la lettre reproduite dans l’édition de la correspondance de Rimbaud par Jean-Jacques Lefrère et on y lit bien la séquence : « — Vous aviez l’air ».


Henri Guillemin après 1953 est devenu propriétaire du manuscrit comme le montre le catalogue du centenaire de 1954 :


Peut-on imaginer qu’un homme comme Henri Guillemin, qui avait le respect du document, ait pris l’initiative de caviarder un autographe de Rimbaud ? Et peut-on affirmer que les mots «  — Vous aviez  » ne sont pas de Rimbaud ? Je ne le pense pas.

JB

Voir à ce sujet notre article sur Renaud et Louisa Siefert.