lundi 30 novembre 2015

Malignement entre Verlaine et Rimbaud, par Jacques Bienvenu

Le samedi 15 mars 1913 Stefan Zweig achetait à Paris chez le libraire Charavay le manuscrit des Fêtes galantes qu'il cherchait depuis des années.Ce manuscrit de Verlaine se trouve depuis le 20 août 1881 à la British Library. 

Le n°131 du catalogue de l'exposition Verlaine de Mons reproduit le folio 20 de L'Amour par terre d'un autre manuscrit des Fêtes galantes qui a servi pour l'édition originale, Lemerre,1869. Le folio 20 du manuscrit Zweig de L'Amour par terre est conforme à une publication de ce poème dans la revue l'Artiste en mars 1869. Le vers 3 était dans cette revue :

« Souriait en bandant cruellement son arc, »

Version de l'Artiste

Tandis que Verlaine changeait cruellement en malignement pour l'édition Lemerre, et le vers 3 de L'Amour par terre devenait :

« Souriait en bandant malignement son arc, »

Version Lemerre

On sait que le poème Trois baisers de Rimbaud a été imprimé  dans La Charge du 13 août 1870. On découvre dans ce poème érotique l'adverbe malignement au quatrième vers :

Elle était fort déshabillée,
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres penchaient leur feuillée
Malignement, tout près, tout près.

Reproduit dans Passion Rimbaud
de Claude Jeancolas


L' adverbe malignement était peu usité dans un poème et nous pensons que cette coïncidence est trop surprenante pour n'être pas dû au hasard. 

Examinons la lettre de Rimbaud à Izambard du 25 août 1870 écrite à Charleville. C'est visiblement la première lettre que l'auteur des Trois baisers envoie à son professeur parti de Charleville, le 24 juillet, pour Douai. Rimbaud  lui parle assez longuement de ses lectures, se plaint  de ne pas avoir de livres nouveaux. Or, c'est précisément dans cette lettre qu'il évoque les Fêtes galantes. Il en donne un commentaire à la fin de sa lettre, ce qui semble indiquer toute son importance :

« J'ai les Fêtes galantes de Paul Verlaine, un joli in-12 écu. C'est fort bizarre, très drôle ; mais vraiment c'est adorable. »

Il lui conseille de lire La Bonne Chanson qui était annoncée dans La Charge du 30 juillet de cette façon : « Nous recommandons vivement à nos lecteurs un charmant volume de poésies intitulé La Bonne Chanson ( éditeur Alphone Lemerre, 47 passage Choiseul ), de notre ami Paul Verlaine. Il nous est inutile de faire l'éloge de l'auteur, déjà si connu, des Poèmes saturniens et des Fêtes galantes ». Il ne signale pas la publication de son article ce qui donne à penser qu'il ne voulait pas le faire savoir à son professeur.Peu importe la manière dont Rimbaud s'est procuré Les Fêtes galantes, par Auguste Bretagne ou un autre, l'important est que la lecture de ce livre a pu lui inspirer Trois baisers, d'autant plus qu'il s'agit d'une scène galante particulièrement érotique. Le sens grivois de « bandant malignement son arc » n'avait pu lui échapper, car il avait lu Verlaine avec la plus grande attention.

Cette hypothèse, si elle est juste, modifie la chronologie des deux versions manuscrites de Trois baisers. Ces versions comportent le mot malinement interprété comme ardennisme pour malignement.

Si on admet que la version imprimée est la première, il faut reculer le don du manuscrit Izambard   en septembre 1870 à Douai et rien ne s'y oppose . On sait que l'autre version, Première soirée a été confiée à Demeny en octobre. On retrouve aussi malinement dans le poème de Rimbaud  La Maline  d'octobre 1870, qui est  aussi l'un des rares poèmes érotiques de Rimbaud. À cela il faut ajouter la présence de malignement, des années après, dans un poème en prose des Illuminations : Soir historique.

Ainsi, l'influence de Verlaine sur Rimbaud a peut-être été plus ancienne qu'on ne l'a dit, dès l'été 1870. On connaît la suite.


samedi 28 novembre 2015

vendredi 27 novembre 2015

Hommage

Sublime interprétation  par Nolwenn Leroy, Yael Naim et Camélia Jordana de "Quand on n'a que l'amour" de Jacques Brel, ce jour aux Invalides.

mardi 17 novembre 2015

Importance de l'iconographie



Verlaine en 1868 par Bazille, Dallas Muséum of Art. DR


Le regretté Alain Buisine écrivait en avant-propos à sa biographie de Verlaine (Verlaine, Histoire d'un corps, Tallendier, 1995) :

Sans nul doute cette biographie du Pauvre Lelian n'aurait pas du tout eu la même tonalité si je n'avais pas vu le Portrait de Paul Verlaine en troubadour, à l'occasion de l'exposition Frédéric Bazille organisée en 1992 par le musée Fabre de Montpellier.Tout se passe en effet comme si aux yeux de la postérité Arthur Rimbaud et Paul Verlaine s'étaient une fois pour toutes réparti les rôles : la beauté et la flamboyante gloire de la consumation solaire en Afrique pour Rimbaud, la laideur et le glauque engloutissement septentrional dans les brumes du tabac et les vapeurs de l'alcool pour Verlaine qu'en somme on imagine toujours ravagé et déchu.

Tout récemment, Bernard Bousemanne a découvert une photographie de Verlaine (vers 1866) qui confirme ce que disait Alain Buisine du portrait de Verlaine jeune. On peut l'admirer à l'exposition Verlaine de Mons. On peut le voir aussi sur le site de la Bibliothèque Royale de Belgique qui précise l'histoire de cette découverte.

samedi 7 novembre 2015

Le secret de la maison Losseau à Mons, par Jacques Bienvenu



Léon Losseau (1869-1949) est connu des rimbaldiens pour avoir retrouvé en 1901 un grand nombre d'exemplaires d'Une saison en enfer imprimés en 1873 par J. Poot, directeur de l'Alliance typographique, 37 rue au choux à Bruxelles. Pour être précis il en acheta 425 après avoir éliminé ceux qui étaient détériorés. C'était un évènement très important car Paterne Berrichon avait affirmé que Rimbaud avait détruit la totalité des ouvrages de son chef-d'oeuvre après en avoir donné quelques exemplaires à des amis. Il faudra cependant attendre 1916 pour que la légende de la destruction par Rimbaud des exemplaires d'Une saison en enfer soit raconté par Léon Losseau dans une petite brochure de 18 pages (voir notre illustration ci dessus).

Léon Losseau, portrait. Source: Institut du patrimoine wallon, carnet 129

Que sont devenus les exemplaires d'Une saison en enfer retrouvés par Losseau ? On sait qu'il en avait offert quelques uns à des poètes et écrivains, notamment Émile Verhaeren et Stephan Zweig. Peut-être en a-t-il offert ou vendu d'autres après la guerre. En reste-t-il encore ?

Je suis en mesure de révéler ce secret. 

La Maison Losseau, 37 rue de Nimy  à Mons est la  résidence où habita Léon Losseau jusqu'à sa mort en 1949. Il la légua par testament à la ville de Mons. Dans ce bel hôtel particulier il existe aujourd'hui un coffre qui contient des fameux exemplaires d'Une saison en enfer découverts en 1901. Ils sont soigneusement protégés et inaccessibles. Combien en reste-t-il ? 
C'est un secret que je ne peux divulguer…  

Porte d'entrée de la maison Losseau. Photo Jacques Bienvenu, 5 novembre 2015
                                            
Intérieur de la Maison Losseau. Photo Jacques Bienvenu, 5 novembre 2015