mercredi 30 septembre 2015

Rimbaud et Bruxelles

Le 23 septembre, dans le cadre des conférences Regards de France, André Guyaux a fait une communication à la Résidence sur le thème "Rimbaud et Bruxelles". Rimbaud : le vrai, le faux et l’indécidable...
La Résidence de France (demeure de l’Ambassadeur) est un ancien hôtel de maître dont la façade donne sur le boulevard du Régent cité par Rimbaud dans le poème Juillet.
L’hôtel particulier appartenait au Vicomte Charles de Spoelberch de Lovenjoul, passionné  de littérature française et très grand  collectionneur de livres et manuscrits. Le fonds Lovenjoul se trouve à l'Institut de France.

André Guyaux. DR.
             

Au premier plan, de gauche à droite, Jean-Baptiste Baronian et Marc Danval .DR.

DR
Présentation par André Guyaux de la seule lettre connue de Verlaine à sa mère, du 4 juillet 1873, lui demandant de le rejoindre à l'Hôtel Liégeois de Bruxelles. La conférence a donné lieu à des interventions, lors de la discussion, comme on le voit ici.



mercredi 9 septembre 2015

Jean Michel Djian et la photographie d'Aden, par Jacques Bienvenu


Cette année, Jean-Michel Djian, journaliste, écrivain et producteur à France Culture, s'est beaucoup intéressé à Rimbaud.

Il a commencé par réaliser un documentaire intitulé  Rimbaud, le roman de Harar. Ce documentaire a été présenté en avant-première à Paris le 17 avril 2015 et diffusé sur France 3  deux mois plus tard.
Cette été, il a animé une série d'émissions radiophoniques « Rimbaud en mille morceaux » de cinq fois deux heures sur France Culture. Enfin, un livre édité chez Grasset parachevait ces diffusions. Il était intitulé  Les Rimbaldolâtres

On s'attachera ici à une particularité commune à ces diverses interventions sur Rimbaud : la présentation par Jean-Michel Djian de La photographie d'Aden sur laquelle la présence de Rimbaud est très contestable.

Pour Jean-Michel Djian cette question est loin d'être anecdotique. Ainsi a-t-il déclaré dans une interview accordée, le 20 avril 2015, au journal L'Ardennais

«L'élément qui m'a poussé à réaliser le documentaire, c'est la découverte, en 2008, de cette photographie inédite. Ce n'est pas le même visage que celui qu'on observe sur le portrait de Carjat, ce qui permet de spéculer. »

En donnant l'année 2008 au lieu de l'année 2010 où cette photographie a été révélée, Jean-Michel Djian ne se trompe pas de date.Très informé, il se souvient que la photographie aurait été découverte deux ans avant d'être exhibée.

Le 6 mai, j'allais voir à Paris le film Rimbaud, le roman de Harar dans la seconde diffusion qui suivait l'avant-première et j'en donnais un compte rendu sur ce blog, dès le lendemain. J'observais dans le documentaire la fameuse photographie qui était présentée deux fois ainsi qu'une apparition furtive de Jacques Desse, le libraire qui a découvert la photo.

Peu après, sur le site de France Culture était présenté, sous la responsabilité de Jean-Michel Djian : Rimbaud, derrière l'image. On peut toujours y voir la photographie d'Aden :


On observe que la présence de Rimbaud est attestée sans restriction. Un habile montage identifie tous les personnages sauf le barbu de l'extrême gauche qui a été identifié sur ce blog, le 3 janvier 2011, et qui a été suivi par un article que j'ai publié dans Le Monde sur lequel je reviendrai. On note la collaboration  du libraire Jacques Desse pour la réalisation de ce montage.

Il convient de rappeler certains faits.

Il est attesté que Le docteur belge Pierre-Joseph Dutrieux a passé une quinzaine de jours à Aden en novembre avec l'explorateur Lucereau. Voici d'ailleurs un petit extrait d'une revue anti-esclavagiste anglaise à laquelle participait le docteur belge :


Le docteur Dutrieux était anti-esclavagiste et correspondant régulier de cette revue. L'article du supplément du 15 novembre 1881 de l'Anti Slavery Reporter reproduisait (p.48) en anglais une partie de la lettre de Dutrieux du 18 février 1881 écrite d' Alexandrie où il racontait sa rencontre à Aden avec Lucereau.

Il se trouve que la photographie de Dutrieux trouvée à la Bibliothèque Nationale correspond traits pour traits à celle de la photographie, comme on peut le voir sur ce montage  présenté dans mon article du Monde.fr du 8 février 2011 intitulé : « Deux explorateurs chassent Rimbaud de la photographie d'Aden » :

       
Or, la présence de Dutrieux et de Lucereau exclut celle de Rimbaud car ce dernier n'était pas encore arrivé à Aden en novembre 1879. On comprend que le montage de France Culture préparé avec la collaboration de Jacques Desse n'en fasse pas mention.

Après quelques péripéties où les tenants de la présence de Rimbaud tentèrent de montrer que Dutrieux pouvait être revenu à Aden, Reinhard Pabst, chroniqueur au Frankfurter Allgemeine Zeitung,  publiait dans ce journal ( À L'ouest d'Aden, 9 février 2011) une lettre de Dutrieux datée de Siout, 16 août 1880, qui réduisait à néant cette possibilité. Reinhard Pabst concluait : 

« Les défenseurs de l'audacieuse hypothèse Rimbaud sont maintenant dans le pétrin. Qu'ils puissent encore maintenir la photo prise devant l'Hôtel de l'Univers dans l'iconographie rimbaldienne semble plus incertaine que jamais. Et s'ils le font, comment procéderont-ils ? »

Nous connaissons la réponse à la question : elle est venue sous la forme d'un canular d'étudiant en médecine - Brice Poreau - prétendant avoir identifié Rimbaud par une méthode biométrique plus que douteuse et même en truquant grossièrement ses résultats. J'en ai donné la preuve et je crois qu'aucun scientifique sérieux (je pourrais en nommer) ne peut la mettre en doute. C'est à la faveur de cette « révélation » que la présence de Rimbaud sur la photographie (arrivant juste à temps pour Jean-Michel Djian), en avril 2015 (mais annoncée depuis juin 2013)  a pris un regain d'intérêt.

Observons au passage que, dans le volet 4 des entretiens radiophoniques, la question de la photographie d'Aden est discutée seulement  avec deux partisans de la présence de Rimbaud : Jacques Desse, bien sûr, et José-Marie Bel qui prononce cette phrase  : « il s'agit certainement d'Arthur Rimbaud  à 51% » qui se passe de commentaires.

Mais tout cela n'est rien ! Le meilleur est à venir.

Il se trouve dans la petite plaquette  Les Rimbaldolâtres  (voir p.27-32 et voir des extraits ici). Sans le préciser, Jean-Michel Djian  fait référence à la première partie d'un blog d'André Gunthert publié en mai 2010,  L'Atelier des icônes et à la partie intitulée : Rimbaud la photo infidèle à l'icône. André Gunthert, qui est historien de la photographie, avait commencé à soutenir la présence de Rimbaud sur le perron de l'hôtel de l'Univers à Aden avec des arguments concernant la technique du gélatino-bromure d'argent récente à cette époque pour la photographie.

Jean-Michel Djian, parmi les 80 réponses suscitées par cette première partie, choisit uniquement (réponse 25) celle de David Ducoffre, non nommé dans ce passage, qu'il cite longuement sur quatre pages, en ajoutant toujours sans le nommer, qu'il avait été trahi par son adresse IP comme donnant de fausses informations. Ce dernier avait, en plus, été sollicité tout récemment par Djian pour publier dans sa plaquette un article sur Patti Smith. Cet article figure sur mon blog, mais Djian le reproduit sans référence et sans mon autorisation. Ducoffre avait donné l'autorisation de publier son article sans méfiance mais il m'en avait informé immédiatement. On peut lire sa réaction sur son blog après qu'il ait lu  Les Rimbaldolâtres .

Le problème est que Jean-Michel Djian a donné une version totalement tronquée de l'histoire. Dans cette première partie, André Gunthert en avait annoncée une seconde bien en vue après ses références :

Lire la suite: “Rimbaud et les docteurs de la ressemblance“, 30 janvier 2011

dans laquelle il était fait mention de l'épisode du docteur belge Dutrieux qui avait été dévoilé sur mon blog et dont la présence sur la photographie remettait sérieusement en doute celle de Rimbaud. Il écrivait dans sa conclusion :

« Résumons. N’en déplaise à Desse et Caussé, je ne suis pas convaincu par les comparaisons de portraits proposant d’identifier le personnage barbu comme étant Georges Révoil, et trouve la ressemblance avec Dutrieux plus évidente. Il faut remercier Jacques Bienvenu pour ce nouveau progrès dans l’étude du document ».

Par la suite, André Gunthert m'a définitivement donné raison après la publication que j'ai faite sur mon blog de la tombe de Dutrieux sur laquelle figurait son portrait.

Tout ce passage de l'histoire de la photographie où je suis intervenu a donc été soigneusement gommé. En revanche, Jean-Michel Djian ne manque pas, un peu plus loin,  de me  citer de manière très dépréciative. Entre autres amabilités, il affirme que « j'ergote » et que « j'éructe » quand je précise des dates et notamment en caricaturant grossièrement ma démonstration prouvant une fausse datation concernant une lettre célèbre de Rimbaud à Aden : il la réduisait à des comptes d'apothicaires sur les gains de Rimbaud en Afrique alors qu'il s'agissait de donner un historique de la question qui s'était posée à Antoine Adam  dans « la Pléiade » de 1972. Quelle manipulation grossière !

Il précise que,  sur mon blog,  je conteste «  au centime près les gains de Rimbaud en Abyssinie ». Jean-Michel Djian fait allusion à l'article que j'ai donné sur mon blog avant de le publier en revue (« Une lettre célèbre de Rimbaud à Aden mal datée », Rimbaud vivant, n°51, juin 2012). Selon lui, il s'agit d'une « démarche polémique qui, sous des allures de sommations scientifiques, sert une cause égotique qui sans scrupule surpasse l'objet poétique » (!) (p.103). Je laisse le lecteur juge en relisant mon article. Par la suite la lettre a pu être mise à sa bonne place dans l'édition revue de la nouvelle « Pléiade » ainsi que dans l'édition récente de la Correspondance de Rimbaud par Jean-Luc Steinmetz. J'ajoute, à propos de mes publications sur les lettres de Rimbaud, que j'ai pu montrer pour la première fois l'intégralité des fac-similés des pages du manuscrit de la lettre de Gênes dans le livre : Rimbaud, « littéralement et dans tous les sens », Hommage à Gérard Martin et Alain Tourneux, Classiques Garnier, 2012. Un article inopportun de Jacques Desse proposé pour cet ouvrage a été écarté.

On est en droit de se demander pour quelle raison Jean-Michel Djian m'attaque dans son livre de cette façon et donne de l'histoire de la photographie d'Aden une version tronquée. A-t-il bénéficié à nouveau d'une aide qu'il ne mentionne pas cette fois ? Quoi qu'il en soit, il porte avec son éditeur la responsabilité de la manipulation avérée des faits que je viens d'énoncer.