mardi 28 janvier 2014

Réalisation du nouveau musée Rimbaud.


© Jean-Marie Lecomte



Le musée Rimbaud étant désormais fermé au public, un espace lui est provisoirement consacré à Charleville-Mézières  au musée de l'Ardenne, 31 place Ducale, cela pendant toute la durée des travaux. Le nouveau musée Rimbaud ouvrira pour l’été 2015 dans des espaces intérieurs et extérieurs totalement repensés. 
L’espace Arthur Rimbaud sera inauguré en présence d’Alain Tourneux le samedi 1er février 2014 à 11h.

dimanche 26 janvier 2014

Les mystères d’une écriture, première partie : rencontre à Aix-en-Provence, par Jacques Bienvenu.




Lorsque j’ai observé la curieuse graphie de l’écriture du manuscrit de Verlaine concernant le poème La Grâce ( voir les deux articles qui précèdent), j’eus l’idée de demander à Yves Jacq de me venir en aide. Grand spécialiste du groupe des Vivants : Richepin, Ponchon, Bouchor, il côtoie aussi les écrivains qui gravitent autour de ces poètes et bien sûr Verlaine. Surtout, il connaît admirablement les écritures ayant collationné des milliers de lettres au cours de ses années de recherches. Rendez-vous fut pris à Aix-en- Provence, et nous voilà donc, après avoir déjeuné sur le Cours Mirabeau, en direction de la bibliothèque Méjanes pour examiner le dossier. Manque de chance elle était fermée. Il pleuvait, il faisait froid, on cherchait un café peu bruyant aux alentours. Finalement, c’est à l’extérieur d’un bistro, sous un auvent qu’on s’installa malgré les intempéries. Rien ne peut décourager des chercheurs fanatiques et c’est sur une table à peine abritée que je sortais les photocopies des feuillets du manuscrit de La Grâce et de celui des Vieux Coppées

Ce fut vraiment un bon moment de philologie ! Avec nos crayons on soulignait tout ce qui nous paraissait curieux. Yves Jacq observait des accents circonflexes qui manquaient là où il en fallait et d’autres placés par erreur. Très finement, il me faisait remarquer que le mot « Hablant » écrit « Hâblant » ne portait pas d’accent car il venait de l’espagnol Hablar qui n’en prend pas et il me rappelait que Verlaine connaissait bien l’espagnol. On notait que le mot  « Hélas » barré en début de vers revenait dix lignes plus loin en début de vers aussi. C’était bizarre. Le mot « laisse » barré qui n’aurait pas rimé nous intriguait. Tout y est passé jusqu’au point d’orgue : l’invraisemblable mot à la rime que j’observais : « dia reste » au lieu de « diable ». C’est à ce moment que nous eûmes la conviction que c’était une copie peut-être dictée par Verlaine à une autre personne.

Néanmoins, il fallait absolument faire toutes les vérifications. Je n’hésitais pas à me rendre à la bibliothèque Doucet pour observer une grande quantité de manuscrits de Verlaine en particulier ceux qui provenaient de la vente Jean Hugues. Je profitais de mon voyage à Paris pour acheter chez un bouquiniste Sagesse dans la collection des Manuscrits des Maîtres. Ernest Delahaye y analysait l’écriture de Verlaine et  notait : 

« L’auteur de Sagesse a l’écriture liée, il lui arrive de tracer deux et même trois mots sans lever la plume […] ». On est loin de l’écriture scripte, jamais mentionnée.

Puis, coup de théâtre, Yves Jacq m’informait qu’il avait identifié de manière formelle et sans aucun doute possible l’écriture du manuscrit, recourant même au logiciel Photoshop pour faire des superpositions de mots ! Chose étrange, Il se trouve que cette solution apportée pose des problèmes que nous ne savons pas résoudre encore !

À suivre…

Mise à jour du 30/01/2014 suite à un commentaire de GP du même jour mais que le blog a mal placé car il devrait figurer à la suite du dernier commentaire, ce qui n'est pas le cas. Voir ma réponse à ce message.

© Seghers 1975
                                                      Cliquer sur la photo pour agrandir.

mardi 14 janvier 2014

Est-ce bien l'écriture de Verlaine ? suite, par Jacques Bienvenu

Dans l’article précédent, j’ai posé la question : « Est-ce bien l’écriture de Verlaine ?». Il va de soit qu’il ne s’agit que d’une interrogation et que pour l’instant la prudence est de règle. Je ne veux pas à tout prix  prouver que l’écriture n’est pas de Verlaine. Je m’interroge. Je vais ici prolonger cette réflexion en précisant d’autres éléments. On pourrait se demander s’il existe d’autres manuscrits de Verlaine qui sont écrits, comme celui de La Grâce d’une écriture scripte (toutes les lettres sont détachées) qui s’oppose à l’écriture habituellement cursive de Verlaine. La réponse à cette question est oui. Il existe dans une lettre écrite à Lepelletier du 22 août 1874 une transcription d’une série de poèmes Vieux Coppées exactement de la même écriture. J'observe que cette étrange écriture scripte ne semble  avoir été employée  par Verlaine qu’en prison. Ceci serait à vérifier.

Revenons pour l’instant au manuscrit de La Grâce. On peut voir sur celui-ci, à la deuxième colonne au vers 2, quelque chose de vraiment bizarre et qui n’a pas été signalée à ma connaissance. Je donne le vers :

Et, pour mieux déjouer la malice du dia reste,


Vous avez bien lu : on trouve comme mot à la rime « dia reste » au lieu du mot « diable » évident qui figure dans toutes les transcriptions du poème. Vraiment on a du mal à croire que Verlaine ne mette pas « diable » qui s’impose pour la rime avec « effroyable » dernier mot du vers précédent. Songeons qu’il s’agit d’un poète qui rime depuis son plus jeune âge et que la rime a quelque chose d’automatique chez lui. Cette particularité invraisemblable ne pourrait-elle pas s’expliquer si l’on avait affaire à un mauvais copiste ? D’autant plus que le mot  «  reste » se trouve à la rime trois vers plus loin. D’autres exemples de bizarreries seraient à donner en ce sens en considérant les autres feuillets du manuscrit de ce poème. En somme, la question est de savoir si quelqu’un  aurait pu jouer en prison le rôle de copiste pour Verlaine. Il se trouve que dans ses souvenirs de prison Verlaine raconte qu’il donnait des leçons de français à un gardien qui voulait s’instruire. Le poète précise qu’il lui dictait des textes .On voit donc qu’il n’est peut-être pas absurde de penser qu’un copiste ait pu exister à la prison où Verlaine était enfermé. Ce n’est évidemment qu’une hypothèse. Je conclus en donnant ces éléments. Il s’agit d’une recherche en cours qu’un blog permet de donner. Je maintiens qu’il faut être prudent. Des éléments nouveaux peuvent intervenir et peuvent faire basculer l’hypothèse dans un sens ou dans l’autre. Quoi qu’il en soit les singularités de ce manuscrit du poème La Grâce me paraissent utiles d’être signalées.

samedi 11 janvier 2014

Est-ce bien de l'écriture de Verlaine ? Par Jacques Bienvenu



© Musée des Lettres et  Manuscrits
© Musée des Lettres et  Manuscrits

Le recueil de Verlaine intitulé Cellulairement a une histoire tout à fait passionnante. En 1912, un certain Ernest Dupuy révélait l’existence d’un manuscrit autographe de Paul Verlaine paginé et daté, intitulé Cellulairement. On peut consulter en ligne cet article. Il fut publié en décembre 1912, dans La Revue des Deux Mondes et fut suivi peu après par un autre dans la Revue d’Histoire littéraire de la France en 1913. Néanmoins aucun fac-similé du manuscrit n’était révélé, seule la description en était très détaillée. En 1935 ce manuscrit autographe figurait dans la seconde partie du catalogue Barthou, ministre connu pour avoir eu une prodigieuse collection de documents rimbaldiens et verlainiens. Ce manuscrit réapparaissait seulement en décembre 2004 et fut acheté par le Musée des Lettres et Manuscrits. C’est un fait que ce musée a permis de faire connaître à un grand public ce magnifique manuscrit. D'abord par une première publication Verlaine emprisonné coéditée par le Musée des Lettres et Manuscrits et les éditions Gallimard, puis, plus récemment, dans la Collection poésie Gallimard dans laquelle le manuscrit est reproduit remarquablement sur papier glacé pour un prix plus que raisonnable de dix euros. Il faut se réjouir de cette publication grand public qui permet notamment à tous les chercheurs de se pencher sur ces anciens feuillets et de les étudier. L’appareil critique très soigné de cette publication a été confié à Pierre Brunel que les rimbaldiens connaissent bien pour ces nombreux ouvrages consacrés à Rimbaud. Naturellement Pierre Brunel a bénéficié de l’édition de référence d’Olivier Bivort, revue en 2010, après la consultation du manuscrit au Musée des Lettres et Manuscrits. J’avais l’intention de compléter une petite étude que j'avais faite  sur L’Art poétique de Verlaine que Pierre Brunel a aimablement signalée, lorsque je me suis aperçu d’un problème qui me semble vraiment passionnant. J’ai la conviction que les feuillets du manuscrit du poème La Grâce pourraient ne pas être de l’écriture de Verlaine. Je donne ci-dessus un feuillet de L’Art poétique et un des feuillets de La Grâce, afin que le lecteur puisse juger par lui-même. Sans être graphologue je crois qu’il est visible qu’on a affaire à deux écritures différentes. Celui de La Grâce semble une copie réalisée par une autre personne que Verlaine. Cela saute aux yeux. Seul le titre et les quatre lignes  en latin en haut à droite semblent bien être de l'écriture de Verlaine.  Pierre Brunel indique seulement une écriture « plus resserrée » pour ce poème. On  pourrait argumenter, par exemple, sur la forme caractéristique des S du feuillet de La Grâce. Cette forme très particulière ne s’invente pas et elle n’est pas de Verlaine. De qui pourrait être cette écriture ? Je l'ignore pour l'instant. Je pourrais formuler certaines hypothèses séduisantes, mais je ferai des propositions le jour où j’aurai pu examiner certaines écritures,  à moins qu’à la suite de mon article une identification sérieuse puisse être faite par un lecteur. Il est certain que la connaissance du copiste serait certainement utile pour l’histoire du manuscrit. En attendant je me contente modestement de soulever cette question qui ne me paraît pas manquer d’intérêt. Je reviendrai par la suite à quelques considérations  nouvelles que j’ai sur L’Art poétique


vendredi 3 janvier 2014

Rimbaud lecteur de Louis Figuier, par Jacques Bienvenu


Source : Bnf , édition de 1870.

À la fin du  poème Ce qu’on dit au Poète à propos de fleurs, Rimbaud écrivait :

- Et pour la composition
De Poèmes pleins de mystère,

Qu’on doive lire de Tréguier
À Paramaribo, rachète
Des tomes de Monsieur Figuier
-Illustrés ! – Chez Monsieur Hachette !

Marcel Coulon qui avait fait connaître ce poème en 1925 précisait en note à propos de Figuier :

« Il est tout à fin certain que quelqu’un des ouvrages de cet excellent vulgarisateur scientifique est largement responsable de cette longue divagation. Notre poème est le produit du heurt des Odes funambulesques et des Merveilles de la Science. »

Néanmoins, depuis cette date, les chercheurs n’ont, à ma connaissance, rien trouvé de significatif concernant un livre de Figuier qui aurait pu inspirer Rimbaud. On mentionne parfois un ouvrage sur l'alchimie publié dans les années 1860, cité surtout par ceux qui pensent que l'auteur d' Alchimie du verbe s'est intéressé à l'ésotérisme.  Le conseil du poète donné pour la composition de poèmes pleins de mystère a été considéré le plus souvent comme une boutade.

On se propose ici, sur un exemple précis, de montrer qu’il pourrait en être un peu autrement.

Trois  strophes avant la mention du nom de Figuier dans le poème, on trouve ce vers :
« Blancs, verts, et rouges dioptriques, » avec le mot dioptrique, terme scientifique appartenant au vocabulaire de l’optique. Tout récemment David Ducoffre a attiré notre attention sur ce vers et plus précisément sur un passage entier du poème en soulignant certains mots, je donne le dernier quatrain de ce passage avec les soulignements de David Ducoffre.
[…]
De tes noirs Poèmes, − Jongleur !
Blancs, verts, et rouges dioptriques,
Que s’évadent d’étranges fleurs
Et des papillons électriques !

Il y voit un  lien avec les couleurs des voyelles inventées par Rimbaud et estime être le premier à avoir fait ce qu'il considère comme une  trouvaille remarquable. En fait, il a été précédé en ce sens par Jacques Gengoux qui  faisait du  sonnet Voyelles une sorte de clé ésotérique de la poésie de Rimbaud. On reproduit ci-dessous un  passage du volumineux livre de Jacques Gengoux, La pensée poétique de Rimbaud, Nizet, 1950.



Pour Gengoux le mot dioptrique est associé au sceptre solaire et  pour Ducoffre c’est un peu la même chose, mais il va plus loin que son illustre prédécesseur. Pour Ducoffre il est acquis que Rimbaud connaissait la trichromie additive pour laquelle les couleurs primaires sont le bleu le vert et le rouge. Toutefois les couleurs primaires historiquement ont été au départ le bleu le rouge et le jaune, comme celles des peintres. 

Ce n’est qu’après, au moment de la photographie en couleur, que les trois couleurs primaires bleu verte et rouge se sont imposées. Quand Ducoffre écrit : « En fait, la trichromie additive rouge vert bleu vient directement de Newton, ce sont les trois couleurs primaires, et la trichromie soustractive rouge bleu et jaune c'est en réalité les trois couleurs secondaires » ( article cité, vu à la date du 3 janvier 2014)  cela n’a pas de sens. En outre, Ducoffre reconnait avoir écrit par  « distraction » que  la trichromie additive avait été adoptée par les frères Lumière pour le cinéma. En réalité, les frères Lumière l’ont utilisée, plus tard, pour un procédé de photographie en couleur qu’ils ont inventé. Pour en finir sur cette question d'un intérêt d'ailleurs modeste, il me semble impossible que Rimbaud en 1871 ai eu connaissance de cette trichromie additive associée au mot dioptrique. Du reste, Ducoffre reconnait qu'il n'en connaît pas la source.

D'ailleurs, que signifie exactement le mot dioptrique ? C’est la partie de l’optique qui s’occupe de la réfraction des rayons lumineux quand la lumière passe d’un milieu à un autre, tandis que la catoptrique traite de la réflexion de la lumière sur des miroirs. On oppose parfois un « système dioptrique » – par exemple une paire de lunettes de vue avec ses lentilles, à un « système catoptrique » comme un simple miroir pour prendre les cas les plus élémentaires. Ce qui est curieux dans le vers de Rimbaud, c’est l’expression « Blancs, verts, et rouges dioptriques, » qui grammaticalement semble incorrecte. Le mot « dioptrique » est un terme technique assez rare.

Rimbaud a-t-il consulté un traité d’optique ?


Et pourquoi n'aurait-il pas trouvé plus simplement  ce mot dans un ouvrage de Figuier, comme il le suggère lui-même? Il se trouve qu’en 1870 ce vulgarisateur scientifique avait publié un de ses fameux volumes Les Merveilles de la Science dans lequel il s’intéressait cette fois notamment à l’histoire de la lumière. Il y étudiait en particulier, dans un long chapitre, les phares maritimes et les différents systèmes qui permettent à des rayons lumineux de diverses couleurs de se propager pour alerter les navires. Il expliquait que les phares utilisant un système dioptrique permettent de mieux propager la lumière qu’un système catoptrique de miroirs réfléchissants.

Cet extrait et ceux qui suivent proviennent du livre de Figuier dont on voit  la couverture en tête de l'article.





 Le système dioptrique permettait de mieux diffuser les couleurs. Ainsi, peut-on lire :




Et aussi :


Notons particulièrement la dernière  phrase du texte suivant qui nous ramène très précisément aux trois couleurs de Rimbaud énoncées dans le vers  : « Blancs, verts, et rouges dioptriques,».


Voilà donc probablement l’explication de l’expression pleine de mystère « Blancs, verts, et rouges dioptriques, » que Rimbaud avait pu imaginer en lisant Figuier. Dans son traité de poésie Banville conseillait aux jeunes poètes de lire des ouvrages scientifiques pour enrichir leur vocabulaire.


Petit traité de poésie française, p. 65. Extrait du chapitre IV publié dès 1870.


C’était là, une plaisante réponse de Rimbaud au traité de Banville.