mercredi 28 août 2013

"Le portrait de Rimbaud par Jef Rosman est-il authentique ?", par Jacques Bienvenu


Rimbaud par Jef Rosman. Collection du Musée Rimbaud

Sur les quatre volets du paravent situés en haut à gauche du tableau (dont nous donnons la reproduction ci-dessus) on peut lire : Épilogue à la Française. Portrait du Français Arthur Rimbaud blessé après boire par son intime le poète français Paul Verlaine. Sur nature par Jef Rosman. Chez Mme Pincemaille, marchande de, tabac, rue des Bouchers, à Bruxelles.

L’histoire de ce tableau commence le 5 avril 1947 lorsque Le Figaro littéraire  révéla au public un portrait représentant Rimbaud blessé après avoir reçu de Verlaine un coup de revolver, en juillet 1873 à Bruxelles. Sous la signature de Maurice Monda, l’article était intitulé : « Épilogue du drame de Bruxelles, un portrait inconnu de Rimbaud. » 

Le grand rimbaldien Pierre Petitfils en avait déjà parlé, quelques mois auparavant, dans le numéro 6 d’une revue assez confidentielle : Le Rimbaldien. Il émettait des doutes sur l’authenticité du portrait et s’étonnait que Rimbaud « ait accepté de poser dans cette attitude et de livrer à la postérité la révélation d’un incident humiliant ». Il récidivait  dans La Grive de juillet 1947 en ajoutant  que le  tableau était probablement  une œuvre

Le Rimbaldien, numéro 6, article de Pierre Petitfils

apocryphe.  Il avait, en outre,  écrit une longue lettre au rédacteur en chef du Figaro littéraire en lui déclarant que ce portrait était incontestablement un faux. Maurice Monda, piqué au vif, lui répondit par cette lettre publiée dans un article de La Grive d’octobre 1947 :

                            À propos d’un portrait inédit de Rimbaud

Dans notre dernier Numéro, notre collaborateur PIERRE PETITFILS a émis des doutes quant à l'authenticité du Portrait de Rimbaud reproduit et commenté, dans « Le Littéraire » du 5 avril dernier, par M. MAURICE MONDA.

Nous avons reçu de M. Maurice Monda, qui est l'auteur des bibliographies de Rimbaud, de Verlaine et de Mallarmé et le Secrétaire général des « Amis de Verlaine », la lettre suivante

                                                                                          Paris, le 22 juillet 1947
                                                                                                 Mon cher confrère,

Dès la publication dans « Le Littéraire » du portrait de Rimbaud, M. Maurice Noël, rédacteur en chef de ce journal, a reçu de M. Petitfils (dont j'admire l'ardeur partisane), une longue lettre tendant à démontrer par des arguments imaginatifs et sentimentaux (mais certes non contrôlés) que ce portrait était « incontestablement un faux ».
J'ai répondu à M. Maurice Noël; de façon non moins longue, et cette réponse, qui date donc d'avril dernier, a dû être transmise en temps voulu à M. Petitfils par les soins du « Littéraire ». Or, quelle n'est pas ma surprise en constatant que dans « La Grive » de Juillet, non seulement la moindre allusion à cette réponse n'est formulée, mais que bien au contraire, M. Petitfils réitère en termes identiques son opinion : « Il y a de fortes chances que ce tableau soit une œuvre apocryphe. »
 Je veux croire que ma lettre n'est pas parvenue à M. Petitfils. Je me vois donc contraint de vous demander de donner asile à cette réfutation des arguments personnels de M. Petitfils.
 Le peintre Jef Rosman et la dame Pincemaille « qui sont peut-être des noms nouveaux pour les Rimbaldiens » ne sont pas, à coup sûr, inconnus des Belges et M. Matarasso en possède toutes les preuves. Le portrait a été fait pendant un séjour de Rimbaud à Bruxelles, (séjours que mes amis Ernest Raynaud et Ernest Delahaye m'ont toujours confirmés. Voir Bibliographie de Rimbaud, par Monda et Montel).
La légende : « Epilogue à la française. Portrait du Français Arthur Rimbaud, blessé après boire, par son intime le poète français Paul Verlaine, sur nature, par Jef Rosman, chez Mme Pincemaille, marchande de tabac, rue des Bouchers, à Bruxelles », doit être postérieure à l'exécution du portrait, car incontestablement, Rimbaud ne l'aurait pas tolérée. Mais cependant cette remarque qui a son importance : LE FRANÇAIS ARTHUR RIMBAUD (donc poète encore inconnu à cette époque), par son intime, LE POÈTE FRANÇAIS PAUL VERLAINE (poète déjà connu, même en Belgique)
Enfin: conclusion de M. Petitfils: « Seule une expertise pourrait établir si oui ou non ce tableau est âgé de 75 ans ».
Que M. Pierre Petitfils soit donc satisfait: M. André Schoeler, l'expert bien connu et des plus qualifiés, affirme que ce portrait a été exécuté, sans nul doute, d'après nature et entre 1873 et 1875. Il m'autorise à faire état de son affirmation. Je n'ai rien de plus à ajouter.

Veillez croire, mon cher confrère, à mes sentiments les meilleurs.

                                                                                                       Maurice Monda



Dans sa lettre, Maurice Monda déclarait qu’Henri Matarasso, libraire et grand collectionneur des œuvres de Rimbaud, à l’époque,  possédait toutes les preuves de l’authenticité du portrait. Ces preuves Matarasso les a données, quelques mois plus tard, dans un article du Mercure de France du 1er novembre 1947 intitulé : « À propos d’un nouveau portrait de Rimbaud ».

Pour l’expertise il écrivait : « M. Monda a eu l’extrême obligeance de montrer le tableau à l’expert bien connu M. A. Schœler » dont il reproduit le jugement : ce portrait, sans nul doute d’après nature, a été fait entre 1873 et 1875, son exécution sur panneau d’acajou est également un témoignage de cette époque et rien ne peut faire douter de son authenticité.


Henri Matarasso dévoilait l’existence d’une dame Pincemaille qui vivait avec sa fille marchande de tabac rue des Bouchers à Bruxelles. Le seul problème, comme le précise son avocat  chargé de faire les recherches auprès des services de l’état civil belge, est que cette dame Pincemaille n’a pas été inscrite rue des Bouchers avant le 13 août 1891 comme sa fille qui n’avait que 10 ans à l’époque. Pour palier cette difficulté Matarasso affirmait sans aucune preuve qu’elle était « revenue » à la rue des Bouchers en 1891, ce qui permettait de supposer qu’elle y avait déjà été en 1873.Quel argument !

Quant à Jef Rosman, Matarasso révélait l’existence d’un certain Rosman André, Marie, Joseph né à Bruxelles le 31 janvier 1853. Ce qui prouve naturellement que c’est bien celui-là qui a exécuté le tableau puisqu’il avait vingt ans en 1873. Un joli coup de pinceau pour un amateur dont personne n’a jamais retrouvé un tableau qu’il aurait exécuté. D’ailleurs, l’état civil indique qu’il est sans profession.



À la suite de cet article, Pierre Petitfils fut pleinement convaincu. Il écrivit, peu après, dans le numéro 10 du Rimbaldien que les documents de Matarasso établissaient de manière irréfutable l’authenticité du portrait.

Le Rimbaldien, numéro 10

Néanmoins, le tableau fut présenté lors de l’exposition Rimbaud de 1954 à la Bibliothèque nationale avec la légende prudente : « Ce tableau aurait été fait à Bruxelles en 1873 ». Dans la biographie de Rimbaud, de Pierre Petitfils et Henri Matarasso (1962) le tableau était reproduit. Les auteurs se contentaient de mettre en note que c’était plus probablement « Petite rue des Bouchers » que le tableau avait été exécuté, conformément à l’état civil de Mme Pincemaille révélé par Henri Matarasso (Il existe, en effet, à côté de la rue des Bouchers à Bruxelles une Petite rue des Bouchers distincte de la précédente). En 1967, le tableau trouve sa consécration dans l’album Pléiade dont l’iconographie a été réalisée et commentée à nouveau par Pierre Petitfils et Henri Matarasso. Comme visiblement les documents de Matarasso laissaient un peu à désirer, l’enquête avait été reprise par Adriaan De Graaf dans le Mercure de France du 1er août 1956. Le rimbaldien hollandais découvrait l’existence d’une Anne Lorson, épouse Pincemaille, qui avait été inscrite comme fille de boutique au registre de la population de Bruxelles entre 1872 et 1874. A. de Graaf aurait retrouvé la descendante qui lui aurait affirmé que sa grand-mère était marchande de tabac rue des Bouchers. Le seul problème est qu’en 1873 Anne Lorson n’était pas encore mariée comme l’indique lui-même de Graaf à la note 4 de la page 632 de son article et donc ne s’appelait pas Pincemaille à ce moment-là… Ce qui fait que cette dame Pincemaille est encore moins crédible que la précédente.


Pierre Petitfils, qui avait trouvé que les documents publiés par Matarasso en 1947 étaient irréfutables, changea d’avis par la suite et écrivit dans sa biographie de Rimbaud publiée en 1982 que l’un d’entre eux était douteux : Il précisait que la Pincemaille-Porson [sic] d’A.de Graaf était plus vraisemblable que la « douteuse veuve Pincemaille » de Matarasso (p.411, note123). Plus récemment, Jean-Jacques Lefrère, dans sa biographie de Rimbaud, ne tranche pas : il donne les deux références Matarasso et A. de Graaf. Dans son livre Face à Rimbaud, il déclare que l’authenticité de ce tableau « est aujourd’hui reconnue ».

On voit bien le rôle déterminant de Pierre Petitfils  dans cette reconnaissance. Il croyait à son authenticité après en avoir douté ce qui renforçait sa conviction. Pierre Petitfils, admirateur inconditionnel de Rimbaud, était à l’affût de nouveaux documents et fit preuve parfois d’un emballement un peu rapide. Ainsi, avait-il donné foi  à des souvenirs apocryphes sur Rimbaud et avait cru découvrir un poème de Rimbaud qui était en fait de Scarron.

 Il faut quand même le dire : le dossier de l’authenticité est léger. L’affirmation de l’expert qui date ce tableau à deux ans près n’a aucune valeur scientifique. Matarasso ne donne d’ailleurs aucun certificat détaillé et se contente d’une affirmation sans argument pour dater le tableau. L’existence d’un certain Rosman né en Belgique en 1853 et sans profession n’autorise pas à inventer un peintre Rosman qui aurait fait un portrait de Rimbaud. L’accumulation de détails écrits sur le paravent du tableau est-elle une preuve d’authenticité ? Pincemaille est un nom qui n’est pas rare en Belgique et les preuves qui varient sur l’existence d’une dame Pincemaille, marchande de tabac rue des Bouchers, laissent à désirer. L’inconnu Jef Rosman aurait été au courant de l’incident Verlaine-Rimbaud resté confidentiel et aurait su que Verlaine était l’intime de Rimbaud, cela semble vraiment très étonnant. À cela s’ajoute le mystère complet sur la provenance du tableau. Le libraire qui le possédait et dont on ignore le nom avait dit à Matarasso que ce portrait de Rimbaud « avait appartenu à l’un de ses clients qui l’avait acheté au marché aux puces et acquis pour la somme de 25 francs ! »

Il serait temps de remettre en cause l’authenticité de ce portrait de Rimbaud et de reprendre ce dossier. Un  faussaire qui pouvait très bien connaître, à cette époque, la photographie de Carjat représentant Rimbaud, n’aurait eu aucune peine à réaliser un portrait ressemblant. Le peintre s’est d’ailleurs arrangé pour ne représenter que la tête, dissimulant même le poignet blessé de Rimbaud sous les draps. Ce tableau fait partie d’une série de documents rimbaldiens révélés par Le Figaro littéraire comme le plus que douteux portrait de Rimbaud par Garnier. Surtout, observons que Maurice Monda avait aussi reconnu comme authentique une fausse carte de Delahaye, publiée par le Figaro littéraire du 12 octobre 1935,et qui lui appartenait à l'époque.

Photographie Matarasso © J.Bienvenu

Ce type de carte postale (Correspondance / Adresse) n'existait pas en 1885.Ce document eut quand même l'honneur de figurer aussi dans le fameux album Pléiade de Pierre Petitfils et Henri Matarasso.

mardi 20 août 2013

Théo Van Rysselberghe


Quatre baigneuses par Théo Van Rysselberghe. Source : B.C.



Dans la très remarquable exposition Le Grand Atelier du Midi qui se déroule jusqu’au mois d’octobre, conjointement à Marseille et Aix-en-Provence, on peut voir quatre toiles de Théo Van Rysselberghe. Trois à Marseille qui représentent des baigneuses (respectivement : L’Heure embrasée, 1897 ; Baigneuses au bord de l’eau, 1908-1909 ; Baigneuses au cap Bénat, 1910) et une à Aix-en-Provence représentant un pin (Le Pin à La Fossette, 1919). Le peintre belge s’était installé dans le var en 1890. On trouve son nom sur la liste de ceux qui participaient vers 1900 à la souscription pour ériger une statue de Rimbaud à Charleville. Tout récemment j’ai pu retrouver deux photographies par Carjat représentant Rimbaud. Ces photographies avaient été offertes par Isabelle Rimbaud à Mme Théo Van Rysselberghe. C’est grâce à Mme Catherine Gide, malheureusement décédée cette année au mois d’avril, que la donation au Musée Rimbaud a pu être réalisée. Je renvoie pour cela aux deux articles :  Don de la Fondation Catherine Gide au musée Rimbaud, par Jacques Bienvenu et Gide et Gid, suivez le guide, par AlainTourneux.

JB