lundi 27 mai 2013

Chronologie des écrits de Rimbaud en 1871 et au début de l’année 1872, par David Ducoffre



Ce deuxième volet de notre chronologie des œuvres de Rimbaud se fonde sur les lettres du poète en 1871, ses contributions à l’Album zutique, le dossier paginé de Verlaine parvenu entre les mains de Forain et Millanvoye, un sommaire de Verlaine qui correspond au dossier paginé précédent, les poèmes inédits signalés à l’attention par Delahaye dans ses Souvenirs familiers, les sonnets « Immondes » et les quatrains « Vers pour les lieux »,  et enfin la publication du poème Les Corbeaux. En revanche, nous exclurons le dizain « L’Enfant qui ramassa les balles… » qui est une copie par Rimbaud du second poème d’un diptyque de Verlaine comme l’atteste la signature « PV » du manuscrit, la date réelle de composition de cette pièce étant elle-même inconnue. Nous contesterons certaines dates au bas de poèmes. Nous prévenons aussi le lecteur qu’il faut distinguer l’invention d’un poème et son remaniement ultérieur, ce qui doit toujours entrer en considération en ce qui concerne les versions de Paris se repeuple et le dossier paginé remis à Forain, lequel dossier suppose lui-même un partage délicat entre poèmes composés soit à Charleville, soit à Paris. Nous traiterons aussi de poèmes dont seuls les titres nous sont parvenus. La datation du Bateau ivre et des Corbeaux s’inscrira enfin en porte-à-faux face au discours ambiant.

Janvier-mai 1871 : Les Pauvres à l’Eglise
(Poème envoyé à Paul Demeny dans une lettre du 10 juin 1871 qui contient également Les Poètes de sept ans et Le Cœur du pitre. La transcription est accompagnée d’une datation évasive : une simple mention de l’année en cours « 1871 », ce qui laisse penser que le poème est plus ancien déjà, peut-être de quelques mois, d’autant que, le 10 juin, nous ne sommes pas éloignés dans le temps d’une Semaine sanglante dont ce poème ne semble pas subir l’empreinte tragique. La revue « sociologique » d’une population réunie en un même lieu est à rapprocher de la conception du poème A la Musique de juin-juillet 1870.)

Janvier-mai 1871 : Les Poètes de sept ans
(Poème envoyé à Paul Demeny dans une lettre du 10 juin 1871, mais la transcription est accompagnée d’une date de création fictive « 26 mai 1871 ». Il s’agit d’une datation symbolique. Le jour de la fin de la Semaine sanglante est plutôt le « 28 mai » selon les historiens, mais, à l’époque, le « 26 mai » semble avoir été considéré comme décisif. Par exemple, c’est le 27 mai que réagit Hugo publiquement au sujet des massacres, comme cela a déjà été observé. Cette date ajoutée au poème permet de préciser l’adhésion à la Commune, plus largement même aux agitations révolutionnaires qui marquaient l’actualité depuis septembre 1870, adhésion dont il est question quand l’enfant de sept ans s’intéresse aux « hommes » « Noirs, en blouse », qui font « rire et gronder les foules ». L’idée d’un poème à peu près contemporain de la proclamation de la Commune nous semble plausible, mais nous ne saurions rien prouver. Dans une note manuscrite impossible à dater, mais qu’il prévoyait d’intégrer à la nouvelle publication d’un article datant de 1911 (voir son livre posthume Rimbaud tel que je l’ai connu dans l’édition originale de 1946), Izambard a prétendu que le poème avait été composé en septembre ou en octobre 1870. Rimbaud le lui aurait montré avant de le dédicacer à Demeny. Ce témoignage est amené par une remarque qui se veut de bon sens : ce poème ne peut pas avoir été écrit juste après « l’agonie de la Commune ». Et une autre note impossible à dater d’Izambard va préciser que le poème est tout juste postérieur au 24 octobre 1870, en l’assimilant à une réaction d’Arthur face au courrier de sa mère (avec une erreur d’Izambard : le courrier date du 24 septembre et non du 24 octobre) ; celle-ci exigeait le retour de son fils au foyer maternel lors de la première fugue et suite au refuge douaisien qui suivit l’incarcération à Mazas. En réalité, Izambard s’est montré imprudent. La transcription connue n’est pas dédicacée à Paul Demeny, comme invitait à tort à le penser les éditions d’époque, mais elle fait partie d’une lettre au profil particulier. La mention en tête de la lettre « A M. P. Demeny » vaut pour l’ensemble des trois poèmes ainsi que pour les mots qui s’y entremêlent, et elle relève plus exactement du geste d’adresse que d’un acte de dédicace proprement dit. Or, cette lettre date du 10 juin 1871. En 1911, Izambard ignorait que le poème faisait partie d’une lettre et qu’il était accompagné de deux mentions de dates « 26 mai 1871 » pour sa transcription et « 10 juin 1871 » pour la lettre l’incluant. Il ne connaissait que les éditions du poème abusivement ornées d’une dédicace à Demeny. C’est en 1912 qu’Izambard a appris l’envoi par lettre. Refusant la contradiction imposée par les faits, car ce n’est pas l’unique occasion qu’il a prise pour justifier un témoignage erroné après-coup, le professeur, qui parle bien de son « opinion », va ensuite soutenir, dans une autre note inédite de 1927, parue elle aussi dans Rimbaud tel que je l’ai connu, que Rimbaud a remis le même poème à deux reprises à Demeny. Izambard déclarait que le poème avait été composé à Douai et que Demeny en avait reçu deux exemplaires, par inadvertance. D’autres manuscrits n’ont pas reparu et il faut bien considérer que le témoignage fondé sur des impressions de souvenir, puis des justifications laborieuses du point de vue, est en soi irrecevable. Ajoutons que c’est dans cette lettre du 10 juin 1871 que Rimbaud demande à Demeny de brûler tous les poèmes remis lors de ses passages à Douai, alors que Les Poètes de sept ans y seraient déjà inclus selon Izambard, ce qui achève d’établir contre l’opinion de ce dernier que des poèmes tels que Les Pauvres à l’Eglise et Les Poètes de sept ans sont distincts de la première période poétique du jeune carolopolitain. Les menaces d’émeutes eurent lieu bien avant le 18 mars, ce qui nous interdit de tenter de resserrer encore un peu la datation. On peut remarquer que le poème évoque bien la situation personnelle d’un adolescent soucieux d’échapper à l’autorité maternelle. Il est en phase avec l’esprit de fugue à Paris en 1871.)

Janvier-avril (sinon début mai) 1871 : Mes Petites amoureuses
(Poème envoyé à Paul Demeny dans la célèbre lettre « du voyant » du 15 mai 1871. Les strophes sont celles du poème Ce qui retient Nina d’août 1870, strophe de rimes croisées alternant octosyllabes et vers courts de quatre syllabes sur le patron de la Chanson de Fortunio de Musset. Izambard prétend avoir eu la primeur d’une version sans titre de ce poème qu’il aurait critiquée, information que nous considérons comme fiable et qui pose le problème de la rétention d’informations de la part d’Izambard, lequel n’a probablement pas divulgué toutes les lettres de Rimbaud qui lui sont parvenues. Izambard n’ayant jamais revu Rimbaud après le mois d’octobre 1870, seules des lettres inconnues peuvent expliquer que le professeur ait eu une connaissance aussi sûre des opinions communardes de Rimbaud, à moins d’informations par Deverrière. L’interjection « Pouah » du poème revient volontiers sous la plume d’Izambard, notamment au sujet d’une lettre « littératuricide » qu’il aurait reçue, mais qu’il a confondue avec la lettre du 13 mai, ce qui fait que l’existence ou non de cette lettre ne saurait être démontrée, en laissant la part belle aux convictions personnelles. Nous considérons comme probable l’influence décisive des critiques négatives d’Izambard sur le reniement de l’œuvre de 1870, voire sur le reniement de ce poème qui ne figurera pas ultérieurement dans le dossier paginé constitué par Verlaine.)

Janvier-mai 1871 : Accroupissements
(Poème envoyé à Paul Demeny dans la célèbre lettre « du voyant » du 15 mai 1871. Rimbaud poursuit les caricatures du type Rages de Césars, Le Rêve de Bismarck, Le Châtiment de Tartufe, voire L’Eclatante victoire de Sarrebrück, mais sa manière et son art ont nettement évolué. La forme rarissime du quintil ABABA est commune à deux poèmes de juillet 1871 : L’Homme juste et un autre cité par Delahaye (il en sera question plus bas), mais Rimbaud a dû repérer ce type de strophes dans la revue satirique La Charge dès 1870, ce qui ne permet pas de resserrer la datation du poème. Il est simplement plausible qu’il ne soit pas si ancien lors de son envoi le 15 mai. Sa nature violemment anticléricale fait songer au sort de Monseigneur Darboy, lequel était toutefois encore en vie le 15 mai au moment de l’envoi de cette pièce.)

Avril(-début mai 1871) : Chant de guerre Parisien
(Poème envoyé à Paul Demeny vers le début de la célèbre lettre « du voyant » du 15 mai 1871. Malgré des lectures en grande partie intéressantes de ce poème, Benoît de Cornulier et Steve Murphy considèrent la composition comme contemporaine de l’envoi par lettre le 15 mai, ce qui ne nous convainc pas. Les Versaillais ont ouvert les hostilités le 2 avril et Meudon fut d’emblée un lieu d’affrontements. Il suffit de se reporter à l’article Ils ont attaqué en première page du Rappel (organe de presse hugolien), le 3 avril 1871, pour voir se dresser le contexte justifiant la composition du poème. Il y aurait beaucoup de rapprochements à faire entre la presse et le poème de Rimbaud, mais nous nous en tiendrons ici aux arguments chronologiques. Il nous paraît important de signaler, pour des raisons d’émulation littéraire, qu’en première page du Rappel du 10 avril 1871, Hugo a republié deux poèmes des Châtiments en en modifiant les titres. Précisément, il a publié sous le titre Les Ruraux les soixante-deux derniers vers du  poème « Ainsi les plus abjects… » (Châtiments, livre troisième, IV), à partir de « Ils ont voté ! », et il l’a fait suivre du poème Ecrit le 17 juillet 1851, en descendant de la tribune (Châtiments, livre quatrième, VI) sous le titre En descendant de la tribune. Ce dernier poème est suivi d’une mention « 1851 » qui montre bien à ceux qui ne reconnaîtraient pas deux extraits des Châtiments que le vote des Ruraux en 1871 est assimilé à un précédent vote bonapartiste. La forme du poème Chant de guerre Parisien appelle un commentaire. Sa banalité à cette époque ne l’empêche pas d’avoir ici une importante portée historique. Le quatrain de rimes croisées est banal au XIXe siècle de Lamartine à Baudelaire, et le quatrain de rimes croisées d’octosyllabes correspond à une poésie plus légère comme les Chansons des rues et des bois de Victor Hugo, mais aussi à une forme d’art pour l’art, suite à son recours important dans le recueil Emaux et camées de Théophile Gautier. Cette forme est celle du Chant de guerre circassien de François Coppée qui a servi de support intertextuel à la création rimbaldienne, mais qui est plus de l’art pour l’art qu’un « psaume d’actualité » comme il est dit dans la lettre du 15 mai. Cette forme est aussi funambulesque dans les poèmes de Bergerat et Banville au moment de la guerre franco-prussienne : Idylles prussiennes, Cuirassiers de Reischoffen, etc. Les mentions  « Sèvres, Meudon, Bagneux, Asnières » montrent une identité des lieux de combat entre deux sièges, celui précédent des prussiens et celui actuel des Versaillais, en permettant l’assimilation des Versaillais à une menace comparable aux prussiens. Le recours à cette forme banale relevait d’un certain génie de poète voyant, mais l’optimisme de la victoire communarde sera bien vite démenti par les faits et explique sans doute que ce poème n’ait pas survécu et figuré dans le dossier paginé constitué par Verlaine.)

[Nota Bene : Lettre du 17 avril 1871 à Demeny dont un passage (« Quant à ce que je vous demandais… ») nous apprend qu’elle a été précédée d’au moins un autre courrier inconnu. Elle nous informe également que Rimbaud a vécu à Paris « du 25 Février au 10 Mars », ce qui coïncide probablement avec une période de moindre activité poétique pour des raisons matérielles évidentes. Mais nous ignorons comment Rimbaud a vécu pendant cette espèce de séjour dans la capitale. Par ailleurs, si, selon certains témoignages, Rimbaud a encore effectué un autre séjour et a pu être à Paris pendant la Commune, ce ne peut être en tout cas avant le 17 avril. L’éventuel second séjour à Paris, cette fois sous la Commune, n’a pu avoir lieu qu’entre le 17 avril et le 13 mai ou bien juste après le 15 mai. Par ailleurs, Rimbaud offre à Demeny un compte rendu des publications d’actualité, ce qui confère à cette lettre du 17 avril une réelle importance critique et littéraire. Elle introduit également le thème de la « Sœur de charité » appelé à devenir poème : « il est des misérables qui, femme ou idée, ne trouveront pas la Sœur de charité ».]

(fin mars-avril ou) Début mai 1871 : Le Cœur supplicié
(Unique poème envoyé à Georges Izambard dans la célèbre lettre du 13 mai 1871. Une nouvelle version intitulée Le Cœur du pitre figurera dans la lettre du 10 juin 1871 à Demeny, mais la transcription est alors accompagnée d’une datation erronée « Juin 1871 » comme pour souligner un nouveau départ par opposition aux poèmes de 1870 qu’Arthur demande de brûler. Deux autres versions ultérieures nous sont parvenues de la main de Verlaine, l’une intitulée Le Cœur volé, l’autre sans titre et réduite d’un triolet. Etant donné qu’Izambard prétend également avoir eu la primeur d’une version sans titre de Mes Petites amoureuses, l’antériorité de l’envoi du Cœur supplicié nous paraît significative. Rimbaud éprouve d’abord l’ancien professeur avec lequel il a une relation plus poussée, avant de se tourner vers le poète douaisien Paul Demeny. Nous savons qu’il nous manque des lettres à Izambard, selon l’intéressé lui-même, et nous n’avons jamais su ce que Rimbaud avait pu communiquer à Deverrière. Dans de telles conditions, l’importance conférée à Demeny nous paraît excessive et nous envisageons même que les lettres à ce douaisien ne soient que le prolongement amer (sous forme pratiquement de redites) d’échanges infructueux avec Izambard. Nous pensons qu’il faut lire les idées de la lettre à Demeny du 15 mai, comme plutôt adressées (en pensée) à l’ancien professeur qu’au poète effacé. Toujours est-il que Le Cœur supplicié est nettement porté à l’attention d’Izambard et pourrait participer d’un acte de raillerie à l’égard de celui-ci sur le plan politique. Au-delà d’influences nettes de Gautier ou Banville pour le vocabulaire et la forme, par son cadre imagé : « poupe », « mer », « flots abracadabrantesques » (« gouvernail » dans la version intitulée Le Cœur volé), le poème annonce clairement, tout comme certains passages des Poètes de sept ans, la métaphore du Bateau ivre. Il s’agit d’un poème de dénonciation du siège versaillais sur Paris, comme l’attestent les termes militaires et bonapartistes : « caporal » et « chiques », « rire général », « troupe », « pioupiesques », « gouvernail » (de la famille de « gouvernement »), et l’atermoiement du poème n’est pas exactement celui de Rimbaud. Ce n’est pas lui qui hésitera, pour être sauvé, à se jeter dans ces « flots » qui s’imposent comme une métaphore courante du peuple révolutionnaire Parisien, ce sera le discours métaphorique explicite du Bateau ivre. Enfin, si Izambard n’a pas soupçonné ou relevé nettement l’allusion à la situation politique du mois de mai, ses témoignages n’auront de cesse de combattre la violente provocation à son égard de la formule d’indécision : « Comment agir, ô cœur volé ? »)

(fin mars ) Avril- début mai 1871 : (La) Mort de Paris et (Les) Amants de Paris
(Existence hypothétique de ces deux poèmes inconnus, du moins ont-ils nécessairement existé comme projets. Dans sa lettre à Demeny du 15 mai 1871, Rimbaud se plaint d’un manque d’argent pour les frais de port, ce qui l’empêcherait d’ajouter à sa lettre ses « Amants de Paris, cent hexamètres, Monsieur, » et sa « Mort de Paris, deux cents hexamètres », deux poèmes visiblement d’actualité communarde, ce que souligne l’emploi sarcastique du mot « Monsieur » comme pour l’en-tête de la lettre à Izambard du 13 mai. La Semaine sanglante explique-t-elle qu’il n’ait plus été question de ces deux pièces par la suite ? La mention « hexamètres » pour « alexandrins » est un trait humoristique qui rappelle à l’attention les prix de vers latins de Rimbaud qui, alors, composait des hexamètres au sens strict du mot. La perfection des chiffres fait nettement songer au Bateau ivre, dont Rimbaud aurait pu aussi bien dire : « cent hexamètres, Monsieur ». Les thèmes ou motifs des « Amants » et de la « Mort » associés à Paris se retrouvent au cœur du poème Paris se repeuple, comme s’il y avait eu une refonte de ces deux poèmes ou de ces deux projets en une seule œuvre.)

[Nota Bene : envoi à deux jours de distance d’une lettre à Izambard le 13 mai et d’une autre à Demeny le 15 mai, lettres qui invitent à penser, mais sans certitude, que Rimbaud ne s’est pas rendu à Paris entre le 17 avril et le 13 ou 15 mai, laissant la part belle à l’idée d’un séjour très bref dans la seconde moitié du mois de mai. Ces deux lettres exposent les idées d’un devenir du poète en « voyant », motif littéraire courant depuis le romantisme, mais qui subit un traitement original de la part de Rimbaud. La sincérité du propos n’a pas à être mise en doute, malgré le caractère excessif et trouble des formules employées. Rimbaud oppose pour Izambard « poésie objective » et « poésie subjective ». La « poésie objective » est celle du poète qui n’est pas que sujet, mais qui réfléchit sur soi-même en créant de soi à soi une distance de sujet à objet. Elle s’oppose à l’abandon du « moi » romantique qui confondrait la parole spontanée, immédiate, avec la pensée (forme la plus excessive de la « poésie subjective »). Mais la lettre du 15 mai, si elle critique également le manque de réflexion des romantiques, salue aussi leur capacité à sortir des normes pour rapporter des « visions » de poètes appelées à guider l’humanité dans des directions nouvelles. Le « Je est un autre » formule différemment l’opposition entre « poésie subjective » et « poésie objective ». L’éducation et les impulsions permettent un « développement naturel » de notre pensée qui ne doit pas être confondu avec la connaissance, socratique ou non, de soi-même. Le 9 juillet 1898, dans un article sur Rimbaud paru dans La Liberté, Izambard a écrit une phrase qu’il est intéressant de mettre en tension avec un extrait de la lettre à Demeny : « Car, pourquoi leur créer, sans cela, un intellectualisme artificiel contraire au développement normal de leurs aptitudes et de leurs facultés natives ? » fait contraste à « […] en tout cerveau s’accomplit un développement naturel […] ». Rimbaud se place clairement du côté de la raison : « La raison m’inspire plus de certitudes sur le sujet que n’aurait jamais eu de colères un jeune-France[,] » « Les romantiques, qui prouvent si bien que la chanson est si peu souvent l’œuvre, c’est-à-dire la pensée chantée et comprise du chanteur[,] », « Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. » Nous en concluons que le « Je est un autre » se dresse contre la socialisation passive en conciliant usage de la raison et exploration des champs du possible. Ces considérations sont ici nécessaires, étant donné l’hermétisme ultérieur de la poésie rimbaldienne et étant donné la versification encore traditionnelle des poèmes envoyés à Izambard et Demeny dans les lettres du 13 mai (Le Cœur supplicié), du 15 mai (Chant de guerre Parisien, Mes Petites amoureuses, Accroupissements) et même du 10 juin 1871 (Les Poètes de sept ans, Les Pauvres à l’Eglise, Le Cœur du pitre).]

[Nota Bene : lettre du 10 juin à Demeny contenant trois poèmes et demandant de brûler tous les vers remis en 1870. Le même mois, Jean Aicard a reçu une lettre du poète carolopolitain avec une version des Effarés. Loin de nous en étonner et de considérer qu’il y a là une contradiction, nous y voyons l’indice plausible que Rimbaud a dû détruire chez lui ses manuscrits personnels, peut-être à cause des réactions d’Izambard, et qu’il a envoyé à Aicard le seul poème qu’il ait daigné conserver.]

Avril-Juin 1871 : Les Assis
(Allusion aux deux sièges, ce poème a été écrit soit pendant le second siège, celui des Versaillais contre la Commune de Paris, soit suite au contrecoup de la Semaine sanglante. Le poème fait clairement allusion à la situation politique. Le témoignage des Poètes maudits prétend nous imposer la caricature au pluriel d’un bibliothécaire dont Verlaine saurait le nom et s’en souviendrait mieux qu’un quelconque vers des Veilleurs. Verlaine parle encore d’école buissonnière, ce qui peut s’appeler mentir par omission quand on sait la situation du pays au printemps 1871. Nous ne sommes pas obligés de croire à un pareil témoignage qui cherche sans doute à cacher la signification politique et satirique réelle du poème.)

Juin 1871 : Paris se repeuple
(Poème antidaté de « Mai 1871 », nous en voulons pour preuve l’allusion aux « niches de planches » utilisées pour cacher les désastres avant de réparer les dégâts causés par la Commune. Rimbaud n’a pas pu anticiper la reconstruction de Paris. Qui plus est, tout comme L’Homme juste, le poème a été remanié à Paris, ce que nous pouvons plaider ne fût-ce que par l’existence de deux versions bien distinctes. Raynaud a récupéré une de ces versions chez Charles Cros, alors qu’une lettre de celui-ci à Gustave Pradelle en novembre 1871 nous apprend qu’il ne détenait encore aucun échantillon de poésie rimbaldienne.)

Juin 1871 : Les Sœurs de charité
(Transcription de Verlaine datée de « juin 1871 », motif qui apparaît dans la lettre à Demeny du 17 avril, lequel Demeny a reçu une autre lettre datée du 10 juin. Une réponse de Demeny a-t-elle déclenchée l’invention du poème ? L’idée d’Une saison en enfer est en germe dans cette composition où la « charité » est déjà envisagée en « sœur de la mort » pour le poète.)

Juin 1871 : « Oh si les cloches sont de bronze… »
(Poème de Rimbaud selon Delahaye qui nous l’a transmis, en le plaçant dans un contexte livrant une datation plausible. Inexplicablement, les rimbaldiens à l’époque ne lui ont pas demandé d’où provenait sa transcription. Le témoignage nous semble fiable, d’autant que Delahaye confond ce huitain avec un sizain. Le poème n’est pas mauvais. Qui l’aurait composé, si ce n’est Rimbaud ? D’après les diverses éditions de Souvenirs familiers de Delahaye, le poème a été composé en juin 1871, à un moment où Rimbaud refuse de retourner à l’école comme l’a fait son ami.)

Juillet 1871 : L’Homme juste
(Poème daté de juillet 1871, mais remanié à Paris comme le montrent les différences entre deux versions d’un même quintil qui nous sont parvenues. Yves Reboul a le premier montré qu’il s’agissait d’une charge contre Victor Hugo, lequel se proposait d’accueillir les proscrits et dénonçait une sorte d’assaut pratiquement donné à la porte de sa maison à cette époque, faits célèbres relayés par l’organe de presse hugolien Le Rappel, entre autres. Quant aux deux derniers quintils, d’une écriture différente sur le manuscrit, ce sont des ajouts nettement postérieurs, comme tend à l’attester la rime rare « daines » :: « soudaines » qui fait allusion à cette rime au singulier dans un poème d’Ernest d’Hervilly, l’extrait étant cité dans un compte rendu de Banville intitulé Les Livres dans la revue L’Artiste en mars 1872. La copie de Verlaine n’est connue que par le quintil conclusif qui précède justement ces deux strophes sur la copie autographe.)

Juillet 1871 : « J’ai mon fémur !... »
(Extrait d’un poème de Rimbaud selon Delahaye qui nous l’a transmis dans ses Souvenirs familiers. Nous choisissons de lui donner pour titre le début du trimètre qui sert souvent à le signaler à l’attention. Ce trimètre n’apparaît que dans la deuxième version de 1925 qui apporte des vers supplémentaires à la version de 1908. Delahaye a proposé d’autres vers inédits dans ses témoignages sur Rimbaud. Une Plainte des Epiciers dont Delahaye cite trois vers daterait de la même époque. Ces deux poèmes dont seuls des fragments nous sont parvenus auraient été prévus pour la naissante revue Nord-Est lancée en juillet 1871. La forme de quintil ABABA et les expressions et images du poème « J’ai mon fémur !... » sont à rapprocher de L’Homme juste et du poème Accroupissements. L’extrait a tout l’air d’être authentique et il est difficile de concevoir un faussaire expert à ce point. En revanche, un mystère plane sur la publication de ces inédits par Delahaye. Quelle était leur provenance ? Personne n’a interrogé Delahaye, malheureusement. Ils furent publiés à la même époque et dans les mêmes conditions (presse ardennaise) que les copies de Maurevert de poèmes du dossier Forain-Millanvoye. Revue littéraire de Paris et de Champagne en 1906 pour les copies de Maurevert, Revue d’Ardenne et d’Argonne en 1908 pour les Souvenirs familiers de Delahaye incluant des fragments inédits.)

Juillet 1871 : Les Premières communions
(Poème ainsi daté sur les transcriptions. Il ne semble plus avoir été véritablement modifié, variantes peu nombreuses.)

Août 1871 : Ce qu’on dit au Poète à propos de fleurs
(Poème envoyé par lettre à Banville le 15 août 1871 et antidaté symboliquement du « 14 juillet ». Etonnamment, il ne fait pas partie du dossier paginé constitué par Verlaine. Cette seconde lettre à Banville a un rôle non négligeable dans les thèses, justes à notre sens, de Jacques Bienvenu quant à l’influence de Banville et de son Traité de poésie française sur Rimbaud.)

Janvier-août 1871 (septembre 1871 – mars 1872) : Les Veilleurs, Les Réveilleurs de la nuit, La France, Les Anciens partis
(Quatre énigmes : quatre poèmes inconnus, seuls les titres nous sont parvenus, uniquement grâce à des listes de Verlaine pour trois d’entre eux. Le poème Les Veilleurs est cité souvent par Verlaine et présenté comme le plus beau poème en vers de Rimbaud dans Les Poètes maudits. Il s’agit d’un poème de 52 vers, probablement 13 quatrains d’alexandrins. Octave Mirbeau a cité un vers inédit de Rimbaud et tout invite à penser qu’il s’agit d’un vers des Veilleurs. L’intention de Mirbeau était toutefois de se moquer des Poètes maudits de Verlaine qui disait ne pas se souvenir d’un seul vers des Veilleurs et qui parlait d’une « tristesse, douleur sacrée », ce qui transparaît dans l’article du Gaulois se moquant d’un Arthur pour femme entretenue. En 1883, lors de la première publication des Poètes maudits, Mirbeau n’a cité qu’un seul vers des Sœurs de charité, autre poème alors inédit plein de tristesse et « douleur sacrée ». Le 23 février 1885, dans son article du Gaulois « Les Enfants pauvres » sur les orphelinats de jeunes filles qu’il oppose aux orphelinats des enfants véritablement abandonnés, Mirbeau cite un vers inédit de Rimbaud : « L’éternel craquement des sabots dans les cours. » et insiste trois lignes plus loin sur l’idée qu’une « grande tristesse vous envahit ». Le terme « craquement » peut venir d’une mauvaise lecture du manuscrit pour « claquement ». En revanche, il n’existe aucune raison sérieuse pour assimiler le poème Les Réveilleurs de la nuit à L’Homme juste.)

[Nota Bene : Montée à Paris vers le 15 septembre 1871]

(15 septembre ou) Mi-octobre à mi-novembre 1871
(Contributions à l’Album zutique. A la différence des transcriptions de Germain Nouveau et Raoul Ponchon, et à l’exception d’une nécessaire interversion de l’ordre des colonnes sur les premières pages, les copies de Rimbaud semblent bien suivre l’ordre des feuillets, lesquels comportent plusieurs mentions de dates. A moins de compositions toutes fraîches, ces mentions de dates ne permettent que de cerner le rythme des reports sur le livre du cercle. Dans un article de la revue Rimbaud vivant, paru en juin 2010, nous avons souligné que le cercle zutique et les contributions de Rimbaud eurent lieu de la mi-octobre 1871 à la mi-novembre 1871. Parmi nos arguments, intervenait la libération de Charles de Sivry du camp de Satory le 18 octobre, ce qui coïncidait avec sa transcription fêtant l’événement peu avant un feuillet daté du 22 octobre. Il était question également de l’essoufflement du cercle autour de novembre selon le témoignage même des contributeurs et les débuts du cercle étaient nécessairement postérieurs à la première rencontre des zutistes Rimbaud et Antoine Cros, laquelle se fit début-octobre dans le salon du docteur Cros, selon le témoignage d’un autre zutiste Mercier recueilli par Darzens. Dans son livre Rimbaud et le foutoir zutique, Bernard Teyssèdre a voulu approfondir notre effort de datation, mais, malgré certaines remarques intéressantes, des problèmes de méthode faussent son approche ambitieuse de datation des poèmes jour par jour. Il ignore le problème du vis-à-vis des colonnes sur les feuillets 2 et 3, celles de gauche étant postérieures à celles de droite, ou il pose en termes trop contraignants l’idée d’une allusion à la pièce Fais ce que dois de Coppée à partir de sa première représentation et en ignorant les « marques du doigt » de Pelletan sur des feuillets antérieurs à la chronologie de transcription qu’il propose, ou il envisage sans raison une allusion de Rimbaud à son propre anniversaire dans le cas de Vieux de la vieille. En fonction des dates, voici l’ordre de transcription probable des contributions rimbaldiennes. Avant le 22 octobre, Sonnet du Trou du Cul, Lys, « J’occupais un wagon… », « Je préfère… », monostiche attribué à Ricard, Jeune goinfre, Paris, Cocher ivre, Vieux de la vieille, Etat de siège, Le Balai et probablement Vu à Rome et Fête galante reportés en nouvelle colonne de gauche dans la marge du feuillet 3. Entre le 22 octobre et le 1er novembre 1871, aucune contribution de Rimbaud d’après le livre. Entre le 1er novembre et le 6 novembre, Exil, L’Angelot maudit, deux poèmes déchirés, « Aux livres de chevet… ». Du 6 novembre au 11 novembre (mention erronée d’un samedi 9 relevée par Pakenham), centon des Hypotyposes saturniennes ex Belmontet. Peu après le 11 novembre, Les Remembrances du vieillard idiot et Ressouvenir.)

(Juillet-septembre) Fin-octobre – novembre 1871 : Le Bateau ivre
(La description de la vie des prisonniers sur les pontons était d’actualité dans la presse en septembre-novembre 1871 et une section Epaves de la Commune relataient les arrestations et aventures de communards en fuite dans Le Moniteur universel, ce qui est à rapprocher de la mention finale des « pontons » et de la volonté d’une quille qui éclate. Le poème est probablement postérieur à la première représentation de la pièce Fais ce que dois de Coppée qui prend à partie les communards en rappelant la devise de la ville de Paris Nec fluctuat mergitur, mais postérieur aussi au procès en octobre du très jeune communard Maroteau que la défense présentait comme quelqu’un s’étant lancé dans la Commune en poète. Un extrait du Figaro du sept octobre raille cette défense, nous l’avons citée dans un autre article du blog Rimbaud ivre : « Du nouveau sur l’Album zutique : en feuilletant Le Moniteur universel ». Ces éléments de datation nous paraissent fort plausibles dans la mesure où ils éclairent certains motifs du poème de véritables intentions du poète, et cela par la prise en compte d’une actualité qui continuait de traiter de la Commune des mois après la Semaine sanglante. En tout cas, l’idée que Rimbaud ait lu Le Bateau ivre lors du dîner des Vilains Bonshommes du 30 septembre n’est fondée sur rien. Le témoignage suspect de Delahaye se contentait d’avancer que Rimbaud emportait cette composition à Paris pour épater les Parnassiens.)

15 septembre – mars 1872 : Les Douaniers, Oraison du soir, Les Chercheuses de poux, Les « Immondes » (Stupra), remaniement de Paris se repeuple, Voyelles, « L’Etoile a pleuré rose… », Tête de faune.
(Il nous manque sans doute une preuve pour Les Douaniers, mais c’est, pour partie, en raison d’intertextes de recueils peu faciles à trouver ou relevant de l’entourage zutiste que nous considérons que ces poèmes ont été nécessairement composés à Paris : le couplage de mots « strideur(s) » et « clairon(s) » dans Voyelles et dans les versions connues de Paris se repeuple provient d’une lecture du poème Spleen du recueil Feu et flamme d’O’ Neddy, l’arrangement des tercets sur deux rimes pour les sonnets « Immondes » et Oraison du soir (ABA BAB) témoigne d’une reprise du modèle pétrarquiste dans Philoméla, recueil de Catulle Mendès qui a fourni également un intertexte sensible des Chercheuses de poux avec le poème Le Jugement de Chérubin. Selon Murphy, un vers des Chercheuses de poux s’inspirerait d’un vers d’un poème inédit de Verlaine César Borgia qu’il ne faut pas confondre avec son homonyme des Poëmes saturniens. Le titre Tête de faune semble la reprise du titre A une tête de faune d’un sonnet du recueil (paru anonymement) Avril, mai, juin d’Albert Mérat et Léon Valade, alors que le huitième vers est la réécriture d’un vers du poème Sous Bois d’un recueil d’Albert Glatigny, lui-même anonyme puisque publié sous le manteau : Joyeusetés galantes et autres du Vidame Bonaventure de la Braguette. Le schéma rarissime des rimes de Poison perdu, poème, probablement de 1874, dont l’attribution à Rimbaud reste débattue, provient justement, plutôt que d’un poème isolé de Musset, de son emploi à plusieurs reprises dans le recueil très capricieux en fait de rimes qu’est Avril, mai, juin. Pour composer tous ces poèmes, il a bien fallu que Rimbaud ait accès à tous ces recueils pourvoyeurs d’intertextes et qu’il ait su lever l’anonymat de ceux qui furent publiés anonymement. Valade et Mérat étaient deux poètes zutistes, tandis que Philoméla était un recueil affectionné par Verlaine. Des rapprochements parfois thématiques et aussi formels avec les contributions à l’Album zutique confortent nettement l’idée de compositions parisiennes. Faut-il rappeler que les « Immondes » forment en réalité un tout de trois sonnets comprenant Le Sonnet du Trou du Cul ? On a pu comparer le couplage manuscrit de Voyelles et « L’Etoile a pleuré rose… » avec le couplage sonnet et quatrain de l’Album zutique : Sonnet du Trou du Cul et Lys. La nouveauté métrique de Tête de faune invite à le considérer comme un poème de 1872, il correspond déjà à la versification « seconde manière ». Sa césure après la quatrième syllabe de chaque vers est méconnaissable au point que les métriciens ont cru à une variation de mesures adoptées au fur et à mesure des strophes, voire des vers du poème, ce qui n’est pas le cas. Sur douze décasyllabes aux hémistiches de quatre et six syllabes, seuls trois sont véritablement déviants, à cause d’enjambements de mots à la césure. Deux de ces enjambements de mots se fondent sur un rejet de terminaison (« Un faune effar+é… », « Brunie et sangl+ante… ») sur le modèle initié par Verlaine en septembre 1871 dans un alexandrin de sa pièce banvillienne Les Uns et les autres : « Parlez-moi. / De quoi voul+ez-vous donc que je cause ? ». Les maladresses de la transcription de Voyelles sur la copie Verlaine par comparaison avec le manuscrit remis à Blémont invitent également à penser que Voyelles est une composition tardive de 1872. Enfin, l’emploi commode du nom de genre « madrigal » sur une liste de Verlaine n’a pas à être assimilé sans prudence à un titre éventuel pour le poème.)

Janvier-mars 1872 : Vers pour les lieux.
(Il s’agit d’un titre réunissant deux poèmes, deux quatrains. Aucun manuscrit ne nous est parvenu, mais ils sont accompagnés des précisions « Paris, 1872 » sur une reconstitution proposée par Verlaine, l’un étant accompagné de la fausse signature « Albert Mérat ».)

Février 1872 : Les Mains de Jeanne-Marie.
(La copie hybride en grande partie autographe avec des ajouts de la main de Verlaine est accompagnée d’une mention de date par Verlaine « Fév. 72 ». Nous n’avons pas de raisons particulières de la mettre au doute, d’autant que le poème s’impose comme un hommage aux pétroleuses et aux femmes de la Commune, notamment Louise Michel, la plupart récemment condamnées à cette date.)

Janvier-mars (avril) 1872 : Les Corbeaux.
(Ce poème a été publié dans le numéro du 14 septembre 1872 de la revue La Renaissance littéraire et artistique dirigée par Emile Blémont et Verlaine a précisé qu’il l’avait été à l’insu de Rimbaud dans Les Poètes maudits. Blémont possédait également un manuscrit autographe de Voyelles identique à la version publiée dans Les Poètes maudits et Léon Valade un manuscrit d’Oraison du soir, lui aussi identique à la version publiée dans Les Poètes maudits. L’expression « chers corbeaux délicieux » revient dans le poème daté de mai 1872 La Rivière de Cassis, tandis qu’il est question d’une actualité hivernale. Une rime se présente comme la reprise d’une autre du Bateau ivre : « crépuscule embaumé » :: « papillon de mai » revenant en « soir charmé » et « fauvettes de mai » avec le « Mât perdu » du Bateau ivre en prime. La versification est correcte, mais la forme des sizains est quelque peu excentrique dans la continuité de Musset (et Sainte-Beuve) : ABBACC au lieu de AABCCB, sans que la grammaire ne permette de clairement trancher entre inversion et combinaison de quatrain ABBA et distique CC, bien que la première solution s’impose naturellement à l’esprit au plan de la présentation sur le papier. Tout indique une composition parisienne du début de l’année 1872. Contre toute vraisemblance, certains rimbaldiens pensent que le poème a été composé au plus près de sa date de publication. Rimbaud avait fui Paris et l’équipe dirigeante de la revue La Renaissance littéraire et artistique le 7 juillet 1872. Il est arrivé en Angleterre le 7 septembre, ce qui rend l’idée d’une composition anglaise improbable étant donné la préparation en cours du numéro. Verlaine qui parle d’obtenir les numéros de la revue n’évoque à aucun moment ce poème dans sa correspondance avec Blémont. L’idée d’une composition en Belgique en août n’est pas plausible et invite sans raison à considérer que Verlaine a menti quand il a déclaré que le poème avait été publié à l’insu de Rimbaud. Visiblement dans la continuité du Bateau ivre, le poème Les Corbeaux réécrit quelques vers du poème de Coppée contre la Commune Plus de sang. Sa composition au début de l’année 1872 ne saurait que s’imposer naturellement à l’esprit.)

Mars-Mai 1872 : deux quintils ont été ajoutés à la version autographe connue de L’Homme juste.
(Par la présence de la rime « daines » :: « soudaines » qui fait allusion à une citation par Banville, dans la revue L’Artiste de mars 1872, d’un extrait d’un poème d’Ernest d’Hervilly, ces deux quintils semblent bel et bien postérieurs à l’incident Carjat qui daterait d’un dîner des Vilains Bonshommes du 2 mars selon Michael Pakenham. Certaines relations de l’événement font état d’une altercation ayant impliqué, entre autres, Ernest d’Hervilly, face à Rimbaud. Cette copie autographe avec un ajout final a remplacé une copie de la main de Verlaine, ce qui semble indiquer une constitution du dossier en l’absence de Rimbaud, et un remplacement manuscrit opéré à son retour au début de mai.)

A partir d’avril-mai 1872, Rimbaud a composé soit des œuvres en prose, soit des poèmes en vers « seconde manière », ce qui fera l’objet d’un troisième volet de notre chronologie des œuvres d’Arthur Rimbaud.

jeudi 2 mai 2013

Un mystérieux correspondant à Aden, supplément, par Jacques Bienvenu

Comme le lecteur attentif de notre précédent article l'aura observé, nous avons donné  l'extrait d'un courrier paru dans le Supplément littéraire d'un certain  journal.  Précisons la date : 4 mars 1888.  Le courrier a donc été envoyé d'Aden certainement en  février. 

                          

Voici la suite de l' extrait précédent de ce Supplément littéraire :

  
Les expressions "mascarade des riflards", "serpillières d'or" sont bien dans le style d'Arthur. Pour ceux qui verraient dans "ultra-marine" une réminiscence du Bateau ivre avec ses " cieux ultramarins",  je crois qu'il faut être prudent. Mais sait-on jamais ?


On trouve aussi un peu plus loin :





Les mots " ignobles",  "détritus", pourraient-être de Rimbaud. Ils sont notamment présents dans une lettre de Rimbaud à Savouré. Mais ce qui commence à être vraiment troublant c'est qu'il est question des "grimaces" de Ménélik dans la première lettre connue de Rimbaud à Ilg datée : Aden, premier février 1888...

La suite au prochain numéro.