dimanche 5 février 2012

"Juillet : 1872 ou 1873 ? ", par David Ducoffre

Le poème Juillet, que beaucoup connaissent sous le titre Bruxelles ou à partir de son incipit : « Plates-bandes d’amaranthes… », est l’un des plus énigmatiques de l’œuvre de Rimbaud. Nous reviendrons sur certains éléments du poème dans de prochains articles. Précisons seulement (pour ceux qui ne jouissent pas d’éditions récentes des œuvres de Rimbaud) que la mise en vente du manuscrit en 2006 a permis de corriger la présentation du titre au-dessus des vers. Le poème s’intitule Juillet et en haut à droite apparaissent deux localisations géographiques démarquées par des virgules, comme s’il fallait les lire avant le titre : « Bruxelles, / Boulevart du Régent, Juillet. » Un tel mode de lecture expliquerait que La Vogue et Verlaine aient intitulé ce poème Bruxelles et non Juillet en 1886, malgré le soulignement exclusif de la mention de mois. La vente du manuscrit a également révélé une lacune à la fin du vers 3. Le début d’un « P » majuscule apparaît de manière indiscutable sur le rebord déchiré du manuscrit et cela nous apprend que ce vers qui ne comptait jusqu’alors que neuf syllabes métriques, « lieux » comptant classiquement pour une seule syllabe, est amputé d’un monosyllabe à la rime. La certitude scientifique est ici impossible, mais il faut raison garder : à un très haut degré de probabilité, l’apostrophe « Père[,] » en fin de vers 3 doit ici « rimer » à la mode banvillienne avec la mention « Jupiter » du vers 2.
Rimbaud a été présent à Bruxelles, aussi bien en juillet 1872 qu’en juillet 1873. Mais il est strictement impossible que le poème fasse allusion au drame de Bruxelles et à l’incarcération de Verlaine. Le récit du séjour bruxellois de 73 est connu, il a intéressé la Justice. Rimbaud est arrivé de nuit, il a passé deux jours pratiquement en permanence dans la chambre de Verlaine. Les scènes d’extérieur ne concernent alors que la proximité de la Grand-Place. Après le coup de feu et l’arrestation de Verlaine, à une nuit près, le reste du séjour de Rimbaud se passera à l’hôpital, avec la simple exception d’un jour de permission le 19 juillet : il profita de ce dernier pour remettre une lettre de désistement en mains propres au juge t’Serstevens. Le 20 juillet, libéré, Rimbaud eut la possibilité de repartir en France. Voilà tout le résumé de son séjour bruxellois du 8 au 20 juillet. Le « boulevart du Régent » n’est pas concerné par ce séjour, et il n’est nullement question de vie au soleil. Qui plus est, Rimbaud ne pouvait pas écrire intensément à ce moment-là : sa blessure au poignet est présentée dans le libellé pince-sans-rire du procès fait à Verlaine comme une incapacité de travail causée à un homme de lettres. Du peu de temps libre que Rimbaud a eu pour « flâner » à Bruxelles, il faut encore retrancher la probable visite à l’éditeur Poot, puisqu’une mise sous presse du livre Une saison en enfer a suivi.
L’arrestation de Verlaine eut lieu à l’Hôtel de Ville, son incarcération se fit aux Petits-Carmes (ce qui ne nous rapproche qu’approximativement du « boulevard du Régent »), son jugement eut lieu le 8 août au tribunal de première instance et sa condamnation fut confirmée en appel le 27 août. Les affirmations selon lesquelles Verlaine a été condamné en juillet 1873 dans un palais de Justice du boulevard du Régent sont complètement erronées et même le rapprochement de la « cage de la petite veuve » avec la prison des Petits-Carmes est aléatoire. Que Rimbaud puisse se moquer de son compagnon Verlaine sous les traits d’une Vierge folle dans Une saison en enfer (ceci étant dit sans préjudice de l’autonomie littéraire du texte), cela demeure vraisemblable dans la mesure où cette prose semble avoir été écrite en juin, un peu avant le drame de Bruxelles. En revanche, Juillet serait un texte bien léger pour se moquer du drame de Verlaine. Nous savons qu’au contraire Rimbaud fut abattu et qu’il recopia des poèmes de Verlaine à la fin de l’année 1873. Quelques manuscrits nous sont parvenus. Ni en 1872, ni en 1873, il n’est concevable que Rimbaud passât son temps à railler la poésie de Verlaine. L’idée de poèmes de Rimbaud ridiculisant le talent de Verlaine est un lieu commun de la critique rimbaldienne, mais un lieu commun qui manque depuis toujours d’une élémentaire cohérence. Nous n’y adhérerons sûrement pas.
En réalité, Juillet est un poème de l’été 1872. La canicule des mois de juin et juillet fut alors un sujet littéraire d’actualité, notamment dans La Renaissance littéraire et artistique. Un autre poème à l’esthétique similaire est daté de « juillet 1872 » : « Est-elle almée ?... » Or, les deux poèmes contiennent la même mention : « C’est trop beau ! » ; l’un à cinq vers de sa fin, l’autre à quatre. L’esthétique fantaisiste des Paysages belges dans Romances sans paroles rappelle l’esthétique du récit de voyage en Belgique de Théophile Gautier, tandis que cette déclaration de recueil « sans paroles » de Verlaine fait songer nettement à la scène de « silence » du poème Juillet de Rimbaud. Le recueil Romances sans paroles contient lui-même trois poèmes intitulés Bruxelles, mais datés du mois d’août, dont un localisé géographiquement. Il aurait été écrit à l’estaminet « Au Jeune Renard ». Ce repérage géographique en marge des vers est proposé à la manière des mentions « Bruxelles, Boulevart du Régent, » du poème de Rimbaud. Rappelons que Verlaine en 1886 pensa lui-même que le titre de Juillet était Bruxelles. Dans l’un des poèmes intitulés ou surtitrés Bruxelles de Verlaine, il est aussi question de la foire populaire de Saint-Gilles. Les deux autres poèmes bruxellois sont qualifiés de Simples fresques. Dans sa lettre du « 22 7bre 72 » à Emile Blémont, Verlaine a envoyé les trois poèmes bruxellois suivis de la seconde ariette alors intitulée Escarpolette.  La présentation des poèmes est différente du recueil final. Tiure au singulier Simple fresque. Le poème « La fuite est verdâtre et rose… » est précédé de la localisation suivante : « Près de la ville de Bruxelle [sic] en Brabant », d’une parenthèse parlante (Complte d’Isaac Laqueden [sic]) et d’un chiffre romain I isolé, puisque les autres poèmes ne sont pas numérotés. Le poème « L’allée est sans fin,… » est intitulé Paysage belge et le troisième poème est précédé d’une mention exactement conforme à celui de Rimbaud : « Bruxelles, Auberge du Jeune Renard, Août 72. » Voilà qui ressemble à la présentation de Rimbaud : « Bruxelles, Boulevart du Régent, Juillet », sauf que le mois fait titre chez Rimbaud, cependant que le poème de Verlaine a son propre titre Chevaux de bois. Or, Verlaine ne s’arrête pas là, il ajoute une épigraphe de Victor Hugo en tête de son poème : « Par St-Gille / Viens-nous-en / Mon agile / Alezan ! » et, à la suite des vers, il revient sur ces répères géographiques et temporels : « Champ de foire de St-Gilles-lez-Bruxelles, Août 72. » Cette lettre fait état d’un projet littéraire De Charleroi à Londres à partir de « notes excessivement curieuses sur la Belgique », ce qui fait encore une fois songer à une similitude d’intention avec le Voyage en Belgique et en Hollande de Théophile Gautier. Enfin, le ton des trois poèmes de Verlaine est bien sûr à l’unisson avec celui du poème de Rimbaud.
Rimbaud et Verlaine ont logé à Bruxelles environ du 10 juillet au 22 juillet, et l’ex madame Verlaine nous a appris le succès immédiat que Verlaine prêtait à Rimbaud auprès des réfugiés communards. Or, nos deux poètes résidèrent au Grand Hôtel liégeois et un document révèle que, lorsque la mère de Rimbaud fit rechercher son fils, les renseignements des enquêteurs confondirent le Grand Hôtel liégeois avec « l’hôtel de la Province de Liège rue de Brabant à St Josse-ten-Noode ». Les deux hôtels étaient assez proches l’un de l’autre. La localisation de Rimbaud et Verlaine se fait précisément à proximité du « Boulevart du Régent » du 10 au 22 juillet 1872, à savoir dans le centre-ville vers St Josse-ten-Noode. Il suffit de regarder une carte de Bruxelles pour s’en rendre compte.
Le poème est une description le long du « boulevart du Régent ». Tous les éléments s’y trouvent, à une exception près qui n’est pas le « palais de Jupiter », mais la « charmante station du chemin de fer ». C’est ce que le texte dit en toutes lettres. Nous y reviendrons prochainement.
Quant à la « Charmante station du chemin de fer », j’ignore encore à quoi elle peut renvoyer. Il est question d’une comparaison entre Juliette et Henriette, apparemment sur le mode de La Voie lactée de Banville, poème où, comme Jacques Gengoux l’a fait remarquer, il est question d’une comparaison entre Shakespeare, le drame, et Molière, la comédie. Cette comparaison se fait à partir des figures féminines de Juliette et d’Henriette. Henriette est l’héroïne des Femmes savantes, pièce dans laquelle Trissotin, portrait charge du « petit abbé » Cottin, lit l’épigramme Sur un carrosse de couleur amarante. Il se trouve que Verlaine venait de composer un poème qui reprenait approximativement un vers de cette épigramme : le vers « Car tant d’or s’y relève en bosse », est la réécriture du vers « Où tant d’or se relève en bosse » de Trissotin. Ce poème de Verlaine, c’est la sixième des Ariettes oubliées et elle se caractérise par un procédé banvillien. Verlaine fait rimer des mots masculins avec des mots féminins tout au long de son poème, jusqu’à la mention « rime non attrapée » qui nous fait tout à coup basculer dans des rimes fausses dignes de figurer dans les poèmes de Rimbaud de la même époque : « arrive » :: « naïf », « fatigué » :: « s’en égaie », sans compter l’obligation classique de la consonne d’appui pour les rimes en « é » : « petit abbé » :: « attrapée ».
Il n’est pas encore temps pour nous de préciser les liens entre ces textes. Mais, ce qu’il faut déjà comprendre, c’est qu’il est question d’un balcon sur le boulevard du Régent qui, de manière obscène, fait songer le poète à la célèbre scène de Roméo et Juliette du drame shakespearien et entraîne une comparaison avec une station de chemin de fer, localisée on ne sait où et baptisée du nom d’Henriette. Cette fois, il faut retrouver un élément de la description qui n’est pas situé sur le boulevard du Régent. Quelles stations de chemin de fer peuvent être bien connues de Rimbaud ? Songe-t-il à Walcourt, à une station bruxelloise, française ? Le train est un motif central des poèmes de Rimbaud et Verlaine à cette époque, comme le montre entre autres la relation intertextuelle révélée par Steve Murphy entre Malines et Michel et Christine. Le poème Walcourt des Romances sans paroles, très proche de notre Juillet, parle aussi des « gares prochaines », tout comme son successeur Charleroi (« Des gares tonnent. »). Mais, Rimbaud et Verlaine ne se sont rendus à Walcourt et Charleroi qu’après le 22 juillet apparemment. L’idée d’une station française ou d’une station belge inconnue semble devoir s’imposer. Citons le fameux billet que Verlaine envoya à cette époque à Lepelletier :

Mon cher Edmond,

Je voillage vertigineusement. Ecris-moi par ma mère, qui sait à peine « mes » adresses, tant je voillage ! Précise l’ordre et la marche. Rime-moi et écris-moi rue Lécluse, 26. – Çà  [sic] parviendra – ma mère ayant un aperçu vague de mes stations… psitt ! psitt ! – Messieurs, en wagon !
[…]

Comme l’a montré Bruno Claisse, les mots techniques pour désigner l’univers du chemin de fer sont très présents dans les Illuminations : Mouvement, Marine, Les Ponts, Soir historique, etc. Même Génie semble y faire allusion : « le charme des lieux fuyants et le délice surhumain des stations », image étonnamment proche de vers opposant un calme ancien à une évasion dans Juillet : « Calmes maisons, anciennes passions » et « Charmante station du chemin de fer ». Nous voilà loin de la littérature romantique hostile au progrès, voilà que le train libère le poète et défait la mélancolie : « mille diables bleus dansent dans l’air ».
Dans notre compte rendu de l’article de Benoît de Cornulier sur le poème Juillet, nous avons précisé que le mot « station » était le seul enjambement de mot réel à la césure dans le poème et que cet enjambement avait lieu précisément au vers 14, milieu d’une composition de 28 vers. Nous avons fait une remarque similaire pour le poème Mémoire. Les deux seuls enjambements de mots au sens strict portent sur les vers 21 et 24 du quatrain post-médian, puisque le poème Mémoire compte 40 vers. La mention « station » est donc capitale pour la compréhension du poème Juillet, lequel comporte encore au dernier quatrain une suite ramassée de mentions étonnantes : « Boulevard », « mouvement », « scènes », etc. Le mot « scènes » est le titre d’un poème en prose des Illuminations, lequel a été publié au demeurant en même temps que Juillet dans le numéro 8 de la revue La Vogue en 1886. Le « Boulevard sans mouvement » fait écho au « mouvement d’un boulevard de Bagdad » dans le poème en prose Villes (« Ce sont des villes »). L’autre poème en prose intitulé Villes (« L’acropole officielle…) offre un parallèle intéressant avec le début de Juillet, sans le bleu du ciel toutefois : « Impossible d’exprimer le jour mat produit par ce ciel immuablement gris, l’éclat impérial des bâtisses, et la neige éternelle du sol. On a reproduit dans un goût d’énormité singulier toutes les merveilles classiques de l’architecture. » Voici encore quelques passages sur « drame » et « commerce » : « Le quartier commerçant est un circus d’un seul style, avec galeries à arcades. On ne voit pas de boutiques. Mais la neige de la chaussée est écrasée […] A l’idée de chercher des théâtres sur ce circus, je me réponds que les boutiques doivent contenir des drames assez-sombres. » Nous retrouvons une similaire approche de littérature de voyage sous le regard acide du poète ! Et ce n’est pas tout, « mouvement » est le titre d’un poème des Illuminations où il est question des transports modernes et du train notamment (« mouvement de lacet », « célérité de la rampe ») comme l’a montré Bruno Claisse. Ce poème Mouvement, caractérisé par l’apparition du vers libre moderne, joue à son tour sur une distribution étonnante. Le contraire du « mouvement » en physique, c’est le « Repos », précisément le premier mot du vers 14, au milieu donc d’un poème en 26 vers.
Arrivé à Londres, Verlaine a envoyé plusieurs lettres conséquentes datées de septembre et octobre à son ami Edmond Lepelletier, où il décrit en informateur consciencieux son exploration de la capitale anglaise. La ressemblance d’allure de ces lettres avec les poèmes Villes de Rimbaud et d’autres est saisissante. Pourtant, la critique préfère penser que Rimbaud a attendu le court mois de compagnonnage londonien avec Germain Nouveau pour composer en toute hâte un nombre conséquent de poèmes en prose chargés de références pointues, histoire de rappeler qu’il était resté écrivain. Pris par le temps, Rimbaud dut même demander à Nouveau d’achever de recopier Métropolitain et l’un des deux Villes. Franchement, vous y croyez ?
En tout cas, Juillet est une relation touristique amusée dans l’esprit de la section Paysages belges des Romances sans paroles de Verlaine. Il y est question du passage à Bruxelles entre les 10 et 22 juillet, et une description est envisagée en ce qui concerne le boulevard du Régent. La révolution belge eut lieu non pas en juillet, mais en septembre 1830. Le 21 juillet 1831 sera celui du serment de fidélité du roi Léopold Ier. Le Régent fut à la tête de l’Etat entre ces deux dates. Mais le français Rimbaud fréquentant à Bruxelles le milieu des réfugiés communards, le poème peut s’intituler Juillet en référence ici provocante à la Révolution française. Le « paradis d’orage » est présent dans Juillet, ce qui n’est pas sans échos avec les trois textes suivants : Villes (« Ce sont des villes !... »), Le Bateau ivre (« les juillets) et Paris se repeuple (« L’orage a sacré ta suprême poésie »). La légèreté de ton du poème est nettement marquée par le sentiment d’évasion que célèbre plus que nettement le vers central du poème avec son enjambement de mot à la césure : « Charmante station du chemin de fer ». La station signifie l’arrêt et il est ici impossible de s’arrêter à la césure, voilà quel est l’effet de sens de ce défaut de césure au vers 14. Enfin, en juillet 1872, l’esprit des poèmes en prose des Illuminations était proche, extrêmement proche.

6 commentaires:

  1. Mais l'édition Guyaux ne place-t-elle pas déjà ce poème en juillet 1872? "L'hypothèse d'un Rimbaud composant ces vers durant les mois de genèse d'Une saison en enfer est peu vraisemblable" (p. 906). Le vrai sujet est ailleurs. Loin d’être un article sur la date de "Plates-bandes d'amaranthes...", il s'agit pour M. Ducoffre de faire un parallèle entre ce poème et certains textes des Illuminations, dans l'intention de montrer que celles-ci ont été écrites dès 1872 et qu'elles précèdent en réalité la Saison. Un retour aux sources d'avant-guerre, en quelque sorte, masqué par un faux problème de datation.

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    1. Je laisse naturellement le soin à David Ducoffre de répondre à votre intéressante intervention. Je me permets de dire en attendant que la question de la datation du poème a été remise en cause récemment dans un très long article de Benoît de Cornulier. C’est ce qui justifie, à mon sens , la mise au point sur la date faite dans cet article.

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  2. La réponse est facile. Monsieur Pivot cite précisément un passage de l'édition de la Pléiade qui montre qu'il existe une polémique sur la datation du poème. L'édition de la Pléiade a ici raison, mais elle ne représente bien sûr pas un avis consensuel des rimbaldiens. Il existe une inévitable diversité d'opinions. Jacques Bienvenu rappelle opportunément que je viens de faire le compte rendu d'un article très long qui penche pour l'année 1873 et qui a été accepté par un comité de lecture dans la principale revue d'études rimbaldiennes. Enfin, la datation va avec la compréhension du poème. Relisez-moi et vous comprendrez entre les lignes que je n'ai pas encore tout dit de ce que je comprends du poème.
    Je précise que je donne des arguments nouveaux dans cette polémique et que ce que je dis sur la versification a le mérite d'être intéressant en soi. Ce sont des remarques inédites.
    Enfin, comment minimiser l'intérêt d'un rapprochement de ne fût-ce que le dernier quatrain de Juillet avec plusieurs Illuminations? Oui, cela me permet de rebondir sur cet autre débat: la datation des Illuminations. Mais, j'ai déjà fait une conférence à Paris montrant que A une Raison et Being Beauteous sont des intertextes de Beams de Verlaine. Personne n'a contesté. Je remarque que mes arguments sur la datation des Illuminations publiés en 2007 se retrouvent tels quels dans le livre Rimbaud dans son temps d'Yves Reboul en 2010 (appendice sur les trois imposteurs, partie Verlaine). Il est très difficile pour le public de se dire que nous avons tourné en rond. Un point de vue a été récusé pour son contraire et voilà qu'il nous faut revenir à lui. C'est dur psychologiquement à admettre. Oui, il sera sans doute très difficile aux gens d'admettre que la démonstration graphologique de Bouillane de Lacoste nous a entraîné dans le faux, et pourtant... Je pense que les rimbaldiens réagiront prochainement à toute cette masse nouvelle d'arguments. Dans quel sens le vent tourne-t-il? Je me le demande.

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    1. Messieurs,
      Je vous remercie de vos réponses. Le débat sur la date de « Plates-bandes d’amaranthes… » est ancien : les tenants de 1873 se fondent généralement sur des rapprochements biographiques (La « cage de la petite veuve » faisant, pour eux, référence à l’incarcération de Verlaine) alors que les critiques qui datent le poème de 1872 établissent des parallèles stylistiques avec les poèmes de cette année-là. Pour ma part, je donne raison à ces derniers, et à donc à M. Guyaux et à M. Ducoffre. Je suis plus étonné de la croisade qu’il a entreprise pour revenir à l’ancienne chronologie de l’œuvre de Rimbaud, qui plaçait la composition des Illuminations avant Une saison en enfer. Contrairement à ce qu’écrit M. Ducoffre, il ne s’agit pas de revenir à « un point de vue récusé pour son contraire ». Nous savons tous que, contrairement à la très grande majorité des poèmes de Rimbaud, les textes des Illuminations ne sont pas datés. Mais nous savons aussi que Rimbaud a repris, corrigé et recopié des poèmes en prose en 1874 et qu’il les a confiés à Verlaine en 1875 « pour être imprimés ». Cela ne nous dit rien sur les dates de composition de ces poèmes mais cela nous dit que la Saison n’est pas le point final de la parabole littéraire de Rimbaud et que, si celui-ci en avait eu l’occasion, ou que son désir se soit réalisé, un recueil probablement intitulé Illuminations aurait pu paraître sous son nom en 1875 ou 1876. Il s’agit, selon moi, de la leçon la plus évidente du travail de Bouillane de Lacoste, qui a définitivement remis en cause une idée fausse (et commode) sur l’œuvre de Rimbaud, idée dont toute la critique était jusque là prisonnière. Il ne s’agit donc pas de revenir à l’état préalable de la question mais de continuer à s’interroger sur l’évolution poétique de Rimbaud, au coup par coup, mois après mois, poème après poème. Un critique aussi avisé que Mario Matucci n’a eu de cesse de défendre l’idée que la composition des Illuminations s’étend sur deux années, avant et après l’épisode de la Saison (avril-juin 1873). Ce n’est pas un retour en arrière. Tout est question de méthode. En l’absence de points de repères, c’est malheureusement le plus souvent la critique interne qui se substitue aux faits qui nous font défaut. Or les rapprochements et les parallèles entre les textes ne se valent pas tous. M. Ducoffre le sait bien, lui qui a brillamment travaillé sur les intertextes de l’Album zutique. Relisez, je vous prie, un article d’Antoine Fongaro de 1962 (« Les échos verlainiens dans Illuminations ») : il défend la même idée que vous mais ses exemples ne sont pas les mêmes que les vôtres. Il se place tantôt sur le plan de l’intertextualité, tantôt sur celui de la biographie, et l’impression qui me reste est celle d’une fausse conviction, établie le plus souvent sur de vagues ressemblances, si vagues qu’elles peuvent toujours être suggérées. Dater des textes sur la seul foi de la critique interne me semble être une entreprise périlleuse surtout quand il s’agit de défendre une thèse : on a tendance a priori à créer des ensembles ou des faisceaux d’éléments hétérogènes qui déforcent une position au lieu de la construire.
      JP

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    2. Bon! Deux positions.
      A. Guyaux, Y. Reboul, A.Fongaro, M. Matucci et la majorité pensent que les proses ont été composées avant et après la Saison.
      Quelques rimbaldiens, dont Bouillane, S. Murphy et B. Claisse penchent pour une postériorité quasi exclusive.
      S. Murphy a fait savoir son scepticisme quant à la première position. Il a écrit sa préférence pour la seconde. Pour B. Claisse, l'Adieu d'Une saison en enfer annonce la poétique des Illuminations, le mot d'ordre étant devenu d'étreindre la réalité rugueuse.
      S. Murphy pensait que les poèmes en vers non datés étaient probablement tardifs.
      On ne connaît que six poèmes en vers "seconde manière" non datés à ajouter aux proses en marge de l'Evangile. Ils peuvent être pour la plupart antérieurs à septembre 1872.
      Mais, en 2004, la découverte de Famille maudite a fragilisé la thèse des vers tardifs.
      Une publication le 14 septembre Les Corbeaux et une transcription "L'Enfant qui ramassa..." signée "PV" servent dès lors de cache-misère pour une période de sept mois où rien ne nous est parvenu de Rimbaud.
      Puis, Verlaine a écrit, en insistant, que Rimbaud ne fit pas de vers au-delà de ses 18 ans, au-delà de 1872.
      Y. Reboul a repris mes arguments en 2010. D'abord, il est impossible que Rimbaud ait commencé à composer des proses en Belgique en 1873, comme l'écrit Verlaine dans son témoignage qui valait preuve. Ensuite, Verlaine a fait passer Aube et Veillées I pour des poèmes composés vers juillet 72 dans un article.
      Vous voyez que ce n'est pas une simple histoire de critique interne.
      Je crois au bon sens. Juillet 73 a tué le poète et Verlaine n'a pas voulu que ça se sache.
      Verlaine n'a jamais évoqué une oeuvre perdue pour leur période de vie commune de septembre 72 à avril 73.
      Qu'on me démente si A une Raison et Being Beauteous ne sont pas des intertextes de Beams.
      Je vais bientôt publier mon dossier complet.
      Le seul argument pour la postériorité, c'est que les copies sont de fin 73 ou début 74. Mais bizarre abandon de Métropolitain et aucune mise en ordre.
      Se raccrocher à l'idée qu'il y a quelques variantes? Mais elles ne sont pas tout un poème. Rimbaud a très bien pu modifier des textes anciens de plusieurs mois, voire de plus d'un an.
      Pour ceux qui pensent que les Illuminations sont toutes postérieures, je demande qu'on m'explique comment Rimbaud peut composer autant de poèmes en prose qui respirent l'Angleterre, alors que pour l'essentiel il est en France (accessoirement en Belgique) après juillet 73!?
      Et qu'on m'explique comment il peut composer des poèmes aussi enthousiastes et marqués du plaisir d'écrire (A une Raison et Aube par exemple) après l'incarcération de Verlaine, puis abandonner si facilement la poésie.
      Il y a un problème logique quelque part, non?
      Enfin, l'idée (quasi normande) de poèmes un peu avant, un peu après, voilà qui étale dans le temps une production tout de même pas très conséquente.
      Moi, je ne marche pas. Désolé.

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  3. Je suis désolé de clore provisoirement ce débat qui doit reprendra sa place dans le dossier important qui va suivre et qui concerne « Les Illuminations ».

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