dimanche 15 janvier 2012

Compte rendu d'un article de Benoît de Cornulier sur le poème « Juillet », par David Ducoffre



En partie à la suite des travaux de Jacques Roubaud et de son livre La Vieillesse d’Alexandre, Benoît de Cornulier, qui a su distancer son devancier, s’est imposé comme le spécialiste incontesté des études de versification. La lecture indispensable pour toute personne qui aime lire des vers est celle de son livre de 1982 Théorie du vers dont la réédition est plus que souhaitable. Ce livre a remis en cause plus de cent ans de discours universitaires incompétents sur la versification. La lecture des travaux ultérieurs de Cornulier ou d’autres ne saurait remplacer la consultation directe de cet ouvrage où l’étude de Rimbaud, Verlaine et Mallarmé prend toute son importance. Par ses atteintes aux règles de la versification, Rimbaud est un objet d’étude idéal pour notre auteur. A l’instar des poètes de son époque, Rimbaud a commencé par s’autoriser des configurations syntaxiques licencieuses à la césure dans ses poèmes en alexandrins, mais, à partir de 1872, le dérèglement est trop abondant pour que l’on puisse aborder les questions de régularité métrique en toute sérénité. Les « derniers vers » de Rimbaud posent des problèmes d’identification de la césure, voire d’identification des rimes et du schéma des rimes (strophes). On pourrait penser que, depuis 1982, les travaux de Cornulier sont essentiellement de consolidation de sa théorie ou de mise en application. Les comptes rendus des travaux de Cornulier donnent nettement l’impression d’une théorie désormais acquise ou figée. En réalité, au moins depuis quelques années la réflexion théorique de fond semble réengagée et notre auteur se pose des questions sur l’exclusion ou non de la césure dans les vers de dix, onze et douze syllabes de Rimbaud à partir du printemps 1872. Les recherches récentes de Cornulier tendent également à réduire la possibilité d’un recours à l’excuse d’une compensation par le trimètre dans les cas difficiles. Ainsi, dans le cas de l’alexandrin de Ma Bohême :

Comme des lyres, je tirais les élastiques[,]

le métricien tend à discréditer la lecture banalisée en trimètre (Comme des ly- / res, je tirais / les élastiques), mais anachronique et sans intérêt littéraire, au profit d’une césure audacieuse qui détache le pronom « Je » de sa base verbale « tirais » au moyen de la césure. Selon moi, la trop facile admission des trimètres et des alexandrins semi-ternaires (8-4 ou 4-8) est justement la principale faiblesse à corriger en ce qui concerne la théorie du vers de Benoît de Cornulier. Le refus des thèses du déplacement possible de la césure est donc en train de se radicaliser par ce premier mouvement de contestation contre le repérage artificiel des trimètres, tandis que les licences des poètes entrent de plus en plus dans le domaine de l’effet de sens et que leur approche attentive est de plus en plus supposée participer de la correcte compréhension du discours poétique. Dès 1980, Benoît de Cornulier avait lu comme un effet de sens métrique l’enjambement de mot à la césure du célèbre vers suivant du Bateau ivre :

Je courus ! Et les Pén + insules démarrées[…]

La césure ne découpait pas innocemment le mot après la première syllabe (« Pén » : « presque », « -insule » : « île »), puisque le vers énonçait précisément cet arrachement au continent (« démarrées »). La tension de la forme faisait écho à la violence du sens.
La première manière en vers de Rimbaud ne pose plus désormais de problème théorique global : il est surtout simplement question de préciser les effets de sens, ce qui oblige le métricien à faire intervenir des considérations littéraires autres que métriques, avec tout le risque d’intuitionnisme que cela peut représenter. En revanche, les vers irréguliers de 72 continuent de poser un problème théorique important, quand bien même Jacques Bienvenu a pu signaler à l’attention l’influence décivise du Petit traité de poésie française de Banville dont la publication, partielle puis intégrale, n’avait pas attendu l’année 1872 comme nous avions pu le croire jusqu’à présent.
 Benoît de Cornulier s’est également confronté à l’hermétisme des vers de Rimbaud. Plusieurs études de référence lui sont dues sur des poèmes tels que Les Premières CommunionsJeune Ménage et « Qu’est-ce pour nous, mon Cœur,… ». En ce qui concerne Jeune Ménage, son analyse ne concerne pratiquement pas la versification troublante du poème. La somme de ses études sur Rimbaud a été publiée récemment en un seul ouvrage aux éditions Classiques Garnier : Rimbaud. De la métrique à l’interprétation. Il s’agit de l’un des principaux livres d’auteur sur Rimbaud de ces dernières années avec le Rimbaud et la Commune de Steve Murphy et le Rimbaud dans son temps d’Yves Reboul, ouvrages essentiellement de compilation d’articles parus tous deux dans la même collection, chez le même éditeur. Toutefois, les publications se poursuivent et nous pouvons découvrir un nouvel article de Benoît de Cornulier dans la revue d’études rimbaldiennes de référence : « Rimbaud, metteur en scènes de Juliette en Juillet », Parade sauvage n°22, 2011, p.101-176. Malheureusement, cet article nous déçoit quelque peu.
En dépit de sa longueur (76 pages), il contient très peu d’idées neuves. Il ne me semble pas que l’idée de voir un jeu de mots sur « boulevard » entre « Boulevart du Régent » et « théâtre de boulevard » soit nouvelle. L’étude métrique n’est pas synthétique, mais diffuse, dispersée dans un ensemble de considérations hétérogènes. Les idées essentielles au plan de la versification ne peuvent apparaître qu’à un certain degré d’attention et les conclusions métriques manquent de fermeté. Le poème Juillet, titre authentique du poème « Plates-bandes d’amaranthes… » qui a pu être établi à partir de la divulgation du manuscrit lors de sa mise en vente en juin 2006, est écrit en vers de dix syllabes, mais il s’agit de préciser encore le type de vers de dix syllabes employé par Rimbaud. Le décasyllabe littéraire classique suppose une césure après la quatrième syllabe et donc deux hémistiches de respectivement quatre et six syllabes. Un autre type de décasyllabe apparaît dans les chansons et a été remis à l’honneur par les poètes du dix-neuvième siècle, il comporte une césure après la cinquième syllabe et se compose par conséquent de deux hémistiches de cinq syllabes. L’article de Benoît de Cornulier ne s’intéresse que ponctuellement à cette question et ne formule guère d’hypothèses globales sur le sujet. Il constate simplement, pour quelques cas isolés, que la lecture classique en hémistiches de quatre et six syllabes semble ici subir quelques outrages. Il remarque en particulier des cacophonies et des « e » féminins qui plusieurs fois coïncident avec l’emplacement prévu pour la césure classique, sans en tirer de conclusion clef, ou du moins sans proposer de synthèse sur le sujet. Voici les vers en question avec mention + de l’emplacement normal de la césure dans un décasyllabe littéraire :

Plates-bandes + d’amaranthes jusqu’à
L’agréable + palais de Jupiter.
[…]
La Juliette, + ça rappelle l’Henriette,
[…]
Où mille dia+bles bleus dansent dans l’air !
[…]
Bavardage + des enfants et des cages.

Fenêtre du + duc qui fais que je pense
[…]

Si liaison avec la césure il y a, la cacophonie « du duc » est particulièrement choquante. La même remarque vaut pour la succession « -ble bleus » du vers : « Où mille diables bleus dansent dans l’air ! » Loin de nous l’idée de trouver choquante avec Malherbe ou d’autres classiques l’homophonie de deux syllabes qui se suivent. Ce qui est choquant, c’est la proximité de ces redoublements avec la position clef attendue pour la césure. Or, cela a d’autant plus l’air ici de ressembler à un fait exprès que la syllabe « ble » redondante dans le vers : « Où mille diables bleus dansent dans l’air ! », est précisément la syllabe qui ponctuerait les premiers hémistiche du second vers et du quatrième dans l’hypothèse d’une lecture forcée en décasyllabes réguliers. Les césures des deux premiers vers, malgré les exemples du Moyen Âge (Villon), seraient ici forcées, car appuyées sur des « e » féminins, mais que dire de la mention avec majuscule du monosyllabe « Bleu » au vers 4, signe tangible d’un fait exprès insolent :

Plates-bandes + d’amaranthes jusqu’à
L’agréable + palais de Jupiter.
– Je sais que c’est + Toi, qui, dans ces lieux, P[ère,]
Mêles ton Bleu + presque de Sahara !
[…]
Où mille dia+bles bleus dansent dans l’air !

Pourquoi si Benoît de Cornulier s’aventure sur ce terrain, ne présente-t-il pas de manière plus ostentatoire l’hypothèse d’une métrique de « plates bandes » (sans trait d’union) ? Voilà près de trente ans que nous en sommes à l’idée qu’il n’y a pas de césure aux vers de dix, onze et douze syllabes de Rimbaud, à partir du printemps 1872. Les critères discriminants habituels ne sauraient plus s’appliquer, du moins de la même manière, à ces poèmes, mais il n’en reste pas moins que la question de l’absence ou non d’une notion de césure applicable à ces vers n’a jamais été tranchée au plan théorique. Tout se passe comme si Benoît de Cornulier n’arrivait plus qu’à constater l’irrégularité des vers de 72, comme si un positionnement théorique dérivé n’était pas tenable. L’idée est la suivante : si Rimbaud chahute la reconnaissance de la césure, deux possibilités s’offrent à nous. Ou bien toute reconnaissance est impossible, ou bien il est loisible de repérer la mise en abîme du chahut métrique en dénonçant l’exhibition des ficelles trop voyantes utilisées par le poète. Le poète lui-même a pu entretenir la possibilité d’un tel repérage.
Deux rimes du poème (vers 1 « jusqu’à » et vers 7 « Quelles ») montrent que les frontières métriques peuvent demeurer malgré les outrages, puisque le retour à la ligne après deux telles rimes confirme le maintien de la structure en vers. Les deux premiers vers exhibent la même provocation d’un « e » à la césure. Positionnées différemment, deux cacophonies ont l’air de participer à un brouillage métrique au plan de la césure. La syllabe « ble » ou « bleu » semble un fil conducteur reliant plusieurs vers chahutés entre eux. Remarquons encore le parallèle troublant entre les indications de lieu pour les deux (ou trois) vers suivants :

(Et liane ont + ici leurs jeux enclos)
Ombreux et très + bas de la Juliette.
Qui dort ici- + bas au soleil. / Et puis

Cela commence à faire beaucoup.
Rappelons qu’en termes d’analyse métrique, la lecture forcée des vers suivants ne relève pas de l’enjambement de mots à la césure :

Après les fe + sses des rosiers, balcon
Où mille dia+bles bleus dansent dans l’air !
Sur la guita+re, la blanche Irlandaise.

Il s’agirait de césures à l’italienne. Or, nous voici devant un constat étonnant. Le poème compte 28 vers et, dans l’hypothèse d’une lecture en décasyllabes traditionnels, il ne présenterait qu’un seul enjambement de mots stricto sensu au vers 14, vers médian du poème donc, et sur le mot significatif qu’est « station » :

Charmante sta+tion du chemin de fer[.]

Le mot « station » est interrogé à plusieurs reprises dans cet article, ainsi que son suffixe, mais cette considération métrique a complètement échappé à Benoît de Cornulier malheureusement. Pourtant, les conclusions nous semblent sans appel. Le poème Juillet a pour cœur le chevauchement de la césure au vers médian 14 du mot « station » et il est entièrement conçu sur un dérèglement de la césure du décasyllabe littéraire traditionnel aux hémistiches de quatre et six syllabes. Plusieurs vers présentent une conformation nette à ce modèle, notamment vers la fin du poème.
Toujours en ce qui concerne la versification, Benoît de Cornulier s’intéresse aux défauts des rimes et à la reprise du même mot « silence » en conclusion des deux derniers quatrains. Mais s’il parle de la nécessité des vers de rimer entre eux, il ne définit pas le modèle de quatrain qui a été chahuté. Le problème d’alternance mis à part, les trois derniers quatrains sont réguliers et montrent sans aucun doute possible que le référent du poème est le quatrain à rimes embrassées ABBA. Les rimes des premiers quatrains devraient donc s’analyser comme des déviances par rapport à ce modèle et nous retrouvons l’idée d’une plus grande régularité métrique à la fin du poème. Il devient de plus en plus évident que l’approche de Benoît de Cornulier a trop privilégié l’analyse au détriment de l’effort de synthèse.
Pour ce qui est du sens à donner au poème. Les remarques du critique peuvent ne pas manquer de finesse, mais elles prolongent bien souvent des idées de départ qui ne sont pas à proprement parler des découvertes et, comme cela est maintes fois reconnu au cours de l’analyse, l’orientation du discours de Rimbaud ou la visée des images accumulées demeurent des énigmes. L’adjectif « bleus » entraîne un commentaire étonnant pour l’expression lexicalisée « diables bleus », ce qui nous a surpris. Ce n’est qu’en passant et en note de bas de page que le lien des « amaranthes » à une pièce de Molière est considéré, alors que cela permet d’établir une passerelle avec la sixième des Ariettes oubliées du recueil verlainien Romances sans paroles. La position à la rime de « jusqu’à » n’est pas située dans un contexte historique. Hugo a initié l’idée de placer cette forme devant la césure dans ses Châtiments de 1853. Rimbaud a osé la dislocation « lorsqu’à + travers » dans Le Bateau ivre et Verlaine a placé cette forme « jusqu’à » à cheval à la césure dans son poème Birds in the night, à la manière de Philothée O’Neddy qui avait procédé de la sorte dans son recueil Feu et flamme de 1833, vingt ans avant que Victor Hugo n’impose sa vue sur le sujet. Une telle considération d’histoire littéraire permet justement d’envisager ce poème comme une création des mois de juillet-août 1872, contemporainement aux poèmes de Verlaine, Ariettes oubliées ou Birds in the night.
C’est justement ici que l’étude de Benoît de Cornulier prend sa forme la plus déconcertante. Sans qu’aucune raison forte ne soit présentée, l’auteur suppose que le poème Juillet soit postérieur à l’incarcération de Verlaine en juillet 1873. Il y ferait même allusion, hypothèse déjà émise il y a longtemps par Robert Goffin et soutenue ensuite par Antoine Fongaro. Mais il est impossible de relever le moindre argument probant en ce sens dans l’article. Il est affirmé que Verlaine a été jugé dans un palais de justice situé sur le boulevard du Régent en juillet 1873, mais cette affirmation n’est nulle part vérifiée et ne permet pas de comprendre un poème où il n’est pas question de tribunal, mais de « station de chemin de fer », de « cages », etc. Certes, une cage peut faire songer à une prison, mais Verlaine n’a pas été incarcéré sur le « boulevard du Régent » et c’est la localisation d’un « palais de Jupiter » que nous cherchons. Qui plus est, le séjour de Rimbaud à Bruxelles en 1873 est connu. Il passe le plus clair de son temps à l’hôpital avant de repartir à Charleville. Lors de sa permission, la veille de sa sortie de l’hôpital, il a remis en mains propres une lettre de désistement au juge t’Serstevens et il a visiblement pris contact avec l’éditeur Poot de son futur livre Une saison en enfer. Rimbaud arrivé à Bruxelles dans la nuit du 8 juillet 1873 et il n’a tenu compagnie à Verlaine que les 9 et 10 juillet en sachant que le récit de ces deux journées a intéressé la Justice et nous est donc parvenu. Le poème Juillet, d’une certaine légèreté de ton, ne cadre pas avec les données biographiques qui nous sont parvenues.
La plupart des arguments avancés par Benoît de Cornulier cadrent spontanément avec une datation favorable à l’année 1872 : l’intérêt pour Favart, les parentés formelles abondantes avec les Romances sans paroles, voire l’idée de veuvage dans la séparation avec Mathilde (à supposer que l’emploi du mot « veuve » dans le poème y fasse référence). Juillet se rapproche fortement de la sixième des Ariettes oubliées et surtout des Paysages belges. Or, il est question de la part de Verlaine d’une littérature de voyage comique sur le modèle de Théophile Gautier. La Belgique n’a pas le prestige de l’Espagne et autres destinations exotiques. Gautier a adopté une esthétique poétique particulière pour relater son voyage en Belgique et il me semble évident que Verlaine et Rimbaud s’inspirent de son exemple. L’opposition à la rime « Irlandaise » :: « guyanaise » ne va-t-elle pas clairement dans le sens de la dérision ? Les « Plates-bandes d’amaranthes » ne finissent-elles pas en équivoque « désert du Sahara » ? Comment cette dérision pourrait-elle se raccorder à un traitement pour le moins méprisant de l’incarcération de Verlaine ? Rien ne justifie de pareilles liaisons dans le poème. L’idée serait que Juillet se réfère au poème Images d’un sou transcrit par Verlaine en prison, et cela en plusieurs épisodes. Mais, outre que les liens éventuels sont à consolider entre les poèmes, je me garderais bien de considérer que le poème Images d’un sou est une composition nouvelle, plutôt qu’un remaniement, lorsque Verlaine le diffuse dans sa correspondance à la fin de l’année 1873. Rappelons que le rapprochement est avant tout troublant avec le bref poème sans titre « Est-elle almée ?... » aux quatrains de rimes plates AABB cette fois, lequel poème présente la même esthétique et une première mention datée précisément de « juillet 1872 » de la phrase exclamative « C’est trop beau ! » Enfin, Benoît de Cornulier déclare qu’il est absurde de penser que Rimbaud a dû abandonner au plus vite la versification déréglée mise au point au printemps 1872. Je pense exactement l’inverse. Cette versification déréglée n’était pas une nouvelle esthétique simplement affectionnée par l’auteur, mais elle relevait de la polémique. Les poèmes datés de mai à août 1872 montrent que Rimbaud a passé en revue diverses possibilités d’entrave aux règles de la versification (mauvais décompte des syllabes, impossibilité de retrouver la césure, mélange des cadences masculine et féminine dans une rime, hétérométrie retorse de Fêtes de la faim, défauts de rimes, etc.). Les poèmes non datés sont pour le moins peu nombreux (six !) et ne présentent aucune nouvelle forme de transgression, à l’exception des purs refrains de chanson. Ces purs refrains de chanson se trouvent dans des textes bien précis : la version de Chanson de la plus haute Tour du livre Une saison en enfer, texte du poème « Ô saisons ! ô châteaux ! » qui est le seul présenté comme postérieur au franchissement de la mer dans Alchimie du verbe. Ce type de refrain est adopté par Verlaine « Dansons la gigue ! » dans un poème Streets daté de 1872 et cette évolution vers le refrain était amorcée dans Fêtes de la faim daté d’août 1872. Nous avons récemment montré qu’il était tendancieux de considérer que deux poèmes de Rimbaud dataient de septembre 1872. La publication des Corbeaux n’a rien à voir avec sa date de composition et le dizain « L’Enfant qui ramassait les balles… » n’est que la copie par Rimbaud d’une création de Verlaine, comme le prouve la signature « PV » du manuscrit. Verlaine a lui-même dit clairement que Rimbaud n’avait pas écrit en vers au-delà de ses 18 ans, au-delà de 1872, double affirmation lourdement précisée dans la préface au volume Poésies complètes édité par Vanier en 1895.
Nous estimons que Verlaine a menti au sujet de la datation des poèmes en prose pour cacher au public que le drame de juillet 1873 avait mis un terme à la carrière poétique de Rimbaud. En juin 2007, dans la revue Rimbaud vivant, nous avons signalé à l’attention plusieurs anomalies du témoignage de Verlaine : impossibilité d’écrire des poèmes en Belgique en 1873, voire en Allemagne en 1875, datation des poèmes Aube et Veillées I comme antérieurs au départ belge de juillet 72 dans la notice sur Arthur Rimbaud des Hommes d’aujourd’hui. Nos arguments ont été repris tout récemment par Yves Reboul dans son livre Rimbaud dans son temps. Plus que jamais l’idée d’une composition des poèmes en prose après celle du livre Une saison en enfer est fragilisée.
Le poème H fait allusion à la feinte de « L’Enfant qui ramassa les balles… » et à la famille impériale (« Hortense »), alors que Napoléon III est décédé au tout début de l’année 1873. L’intertexte du mot « operadique » du poème Nocturne vulgaire, comme Jacques Bienvenu nous l’a fait remarquer, est comme par hasard lui aussi une publication antérieure au drame de juillet 1873. Il ne s’agit pas du livre L’Art du XVIIIème siècle des Goncourt lui-même, mais de la publication d’un extrait dans La Renaissance littéraire et artistique en avril 1873. Aucun intertexte postérieur à juillet 1873 n’a été mis à jour pour un quelconque poème en prose de Rimbaud, fait proprement étonnant. En revanche, nous avons montré que le poème Beams daté du « 4 avril 1873 » par son auteur Verlaine s’inspirait de passages précis des poèmes A une Raison et Being Beauteous.
Maintenant, il appartiendra à ceux qui prétendent nous contredire d’expliquer pourquoi Verlaine n’aurait jamais parlé de ce que Rimbaud a nécessairement écrit de septembre 1872 à avril 1873. Voilà qui ne devrait pas manquer d’intérêt.
Tout récemment, un élément pouvait sembler aller dans le sens d’une datation tardive du poème Juillet. Dans la rubrique Théâtres du numéro du premier mars 1873 de La Renaissance littéraire et artistique, il est question de l’intérêt des Belges pour une Irlandaise aux yeux bleus. Nos recherches nous ont appris qu’il s’agissait d’une histoire de proxénétisme en liaison avec le personnage d’Hugelman ciblé par la rubrique avoisinante des Poètes morts jeunes, ce qui intéressera difficilement la lecture du poème de Rimbaud. A l’heure actuelle, le poème Juillet demeure une grande énigme rimbaldienne, mais il reste fort délicat d’envisager qu’il puisse dater de l’été 1873.

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