lundi 17 octobre 2011

« Pourquoi Arthur Cimber ? », par David Ducoffre


 Dans le roman à clefs Dinah Samuel de Félicien Champsaur, le nom d’Arthur Rimbaud a été corrompu en Cimber. Pourquoi ?
Le personnage historique Lucius Tillius Cimber (ou Tullius Cimber selon d’autres sources) a été parfois rebaptisé dans des œuvres littéraires en Metellus ou Publius Cimber. C’est un personnage qui apparaît dans des œuvres historiques de Shakespeare, Voltaire, etc. Il fut l’un des principaux sénateurs ayant assassiné Jules César. D’après Plutarque et Suétone, ce Cimber a quelque peu déclenché le meurtre du dictateur en l’attrapant par les épaules. La victime imminente a alors accusé notre Cimber de violence, mais les coups de poignards des autres conjurés ont immédiatement suivi jusqu’à ce que mort s’ensuive. La phrase « Et toi aussi, mon fils ? » (que César aurait adressé à Brutus… en grec !) n’est pas du tout admise comme authentique par les deux historiens romains. L’idée du geste initial de Cimber leur paraît ne pas poser en revanche un quelconque problème de fiabilité. A la différence de Rimbaud dans l’incident Carjat, ce n’est pas Cimber lui-même qui a manié la lame, mais le rapprochement est déjà suggestif. Passons maintenant à la personnalité de ce romain.
Lucius Tillius n’aurait trahi César que par ambition, puisqu’il avait été jusque là l’un de ses soutiens les plus fermes. A part pour ce qui est de la révolte de Rimbaud contre le second Empire et contre un Napoléon III qui fut souvent caricaturé en Jules César dérisoire, le rapprochement avec ce Cimber historique ne semble donc pas avoir une très grande pertinence. Toutefois, dans un traité sur la colère et dans sa lettre 83 à Lucilius, Sénèque a dressé un portrait peu flatteur de Cimber. Il en fait un personnage violent et ivrogne. Un homme hostile à l’Empire, violent et ivrogne, c’est certainement l’image caricaturale que Champsaur devait avoir de Rimbaud. Mais citons encore ce passage de la lettre 83 à Lucilius :

[…] Tillius Cimber fut passionné pour le vin et brutal dans son langage, de quoi lui-même plaisantait en disant : « Comment supporterais-je un maître, moi qui ne supporte pas le vin ? »

On songe inévitablement à l’altercation avec Etienne Carjat. Dans sa version de l’incident, Verlaine tenta d’excuser son ami en expliquant que Rimbaud devint violent pour ne pas avoir su supporter les doses complaisantes d’alcool qu’on lui permit d’ingurgiter au cours des libations des Vilains Bonshommes. Et rappelons que, selon toujours le récit de Verlaine qui, sur ce point-là a toutes les chances d’être fiable, Rimbaud fut ensuite confié à Michel Eudes qui le ramena chez lui pour dormir. Michel Eudes est précisément le « Serge de Laty » qui prend la défense poétique de Rimbaud dans la mise en scène d’un débat autour d’une récitation de strophes des Chercheuses de poux dans Dinah Samuel.
Nul doute que Champsaur était bien informé. Malgré un petit excès de subtile complication qui en gêne la compréhension humoristique, sa corruption du nom Rimbaud en Cimber s’explique par des analogies grossières entre l’agresseur de Carjat et l’un des assassins plus ou moins connus de Jules César.
Nous nous pencherons une prochaine fois sur une autre énigme romaine liée justement aux Chercheuses de poux, le pourquoi du rapprochement avec Racine, sinon Lamartine et Virgile.

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